vendredi 19 juillet 2013

Des millions de réfugiés climatiques attendent un statut

Par Nolwenn Weiler (15 juillet 2013)
Les États-Unis vont bientôt devoir gérer leurs premiers réfugiés climatiques, avec la disparition de villages entiers en Alaska. A l’échelle mondiale, près de 500 millions de personnes pourraient être obligées de migrer d’ici 2050. En cause, les catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique : des régions entières seront sans doute rayées de la carte.
Face à l’urgence, les institutions internationales trainent à définir un statut pour ces réfugiés. Alors que les partis d’extrême droite instrumentalisent déjà la peur de ces nouveaux flux migratoires.

    Il ne reste que quatre ans aux 350 habitants de Newtok, en Alaska, avant que leur village ne disparaisse. Il sera alors noyé par la montée des eaux et victime de la fonte du permafrost, ce sol des régions froides gelé en profondeur [1]. Selon le quotidien britannique The Guardian, qui raconte l’histoire de ces « premiers réfugiés climatiques américains », l’érosion dévore la côte à la vitesse terrifiante de 27 mètres par an. Alors que la concentration de CO2 dans l’air vient d’atteindre un record, 150 millions de personnes dans le monde vivent dans des zones susceptibles de disparaître sous les flots d’ici la fin du siècle.
    « Avant même d’avoir les pieds dans l’eau, les habitants doivent quitter des endroits dans lesquels ils ne peuvent plus vivre, décrit Raoul Kaenzig, doctorant en géographie à l’université de Neuchâtel, en Suisse. La salinisation des nappes phréatiques proches des côtes les rend impropre à la consommation, et les terres impossibles à cultiver. Cette conséquence du réchauffement climatique entraine des exodes définitifs. Le phénomène est irréversible. »
    Des régions rayées de la carte
    La réalité des réfugiés climatiques est cependant bien plus vaste. Aux côté des habitants des îles du Pacifique ou de l’Alaska, il y a aussi les personnes qui ont dû fuir la Nouvelle Orléans après l’ouragan Katrina, ou encore ceux que menace la raréfaction en eau, due à la fonte des glaciers. « Le manque d’eau dans les pays où les glaciers sont en train de fondre, c’est plus complexe que la montée des océans : on est sur des cycles longs et lents », ajoute Raoul Kaenzig. Les gens ne sont pas immédiatement poussés à la fuite : dans la chaine himalayenne, la fonte des glaciers provoque une augmentation importante du volume des lacs artificiels, dont les retenues pourraient à terme céder, tant la pression est forte. Des vallées entières seraient alors rayées de la carte. Les glaciers de l’Himalaya assurent l’approvisionnement en eau potable de centaines de millions de personnes en Asie du sud et de l’est.
    En Amérique du Sud, la masse des glaciers de la Cordillère des Andes a été divisée par deux en trente ans ! « Cette fonte accélérée entraîne pour le moment une ressource en eau plus importante, détaille Raoul Kaenzig. Mais elle va se tarir un jour, sans pouvoir être renouvelée. Ce qui est extrêmement préoccupant. » Dans cette région, la fonte des glaciers s’accompagne d’une augmentation des aléas climatiques. Périodes de sécheresse plus longues, pluies plus violentes entrainant d’importants glissements de terrains... « Il y a aussi beaucoup plus d’incertitudes : quand les pluies vont-elles arriver ? Y aura-t-il de la grêle, quand ? Avant ils avaient un calendrier. Mais c’est devenu vraiment difficile pour eux de prévoir quoi que ce soit. »

    Augmentation des déplacements et migrations
    Résultat ? Les paysans se déplacent vers la capitale de la Bolivie, la Paz, pour travailler et ramener quelques subsides à domicile. Le même phénomène se déroule sur le continent africain. « Au Mali, les paysans vivent le changement climatique au quotidien, par leur proximité avec la terre, souligne Alasane Dicko, de l’association des Maliens expulsés (AME). Ils constatent de fortes déstabilisations de la saison des pluies, qui arrivent de manière décalée, parfois de plusieurs mois. Elles sont aussi plus fortes que d’habitude, ce qui entraine d’importantes inondations. Souvent, les pères partent en ville chercher du travail. Parfois, toute la famille les suit. » En général, ces personnes ne se perçoivent pas comme des réfugiés climatiques. « Dans la région sur laquelle je travaille, en Bolivie, les paysans ont toujours bougé, au fil des saisons, et au gré des aléas climatiques, souligne Raoul Kaenzig. Mais ces aléas ont beaucoup augmenté. De même que leurs déplacements. »
    « Les mouvements de population déclenchés par des facteurs climatiques ont lieu avant tout pour de courtes durées, sur de courtes distances, à l’intérieur des États, et dans une moindre mesure, entre États limitrophes », décrit Christel Cournil, juriste et maître de conférence en droit public à l’Université de Paris 13. « Ces migrations intra-étatiques peuvent être périurbaines, régionales, circulaires, saisonnières. Ajoutons que les gens ne décident jamais de fuir pour une seule et même raison. » Aux facteurs climat, s’ajoutent également des causes économiques, politiques ou familiales. Autant d’éléments qui rendent la définition même de « réfugié climatique » très complexe.
    Migrants, déplacés ou réfugiés ?
    Les environnementalistes ont été les premiers à parler de « réfugiés climatiques », à la fin des années 1980. Confrontés sur le terrain à des déplacements de populations d’un nouveau genre, les associations et institutions en charge des migrations se sont peu à peu emparées de la thématique. « Nous avons besoin de travailler ensemble, dit Paulo Iles, directeur de l’ONG brésilienne "Espace sans frontières". Nous ne connaissons pas bien le réchauffement climatique, mais nous savons que le nombre de personnes migrantes va augmenter, et ce sont en général des personnes très vulnérables. Que nous devons absolument aider. Nous construisons peu à peu une convergence de luttes, avec nos collègues environnementalistes. »

    Reste à choisir les mots. Et le cadre juridique. Va-t-on parler de migrants, de déplacés ou de réfugiés ? Climatiques ou environnementaux ? Pourquoi ne pas ajouter un article dédié dans la convention de Genève, qui encadre le statut des réfugiés ? « Cette convention ne garantit de protection qu’aux personnes ayant franchi une frontière », relève Christel Cournil. En 2005, « l’appel de Limoges », signé par des scientifiques et des universitaires, a accompagné un projet de Convention internationale sur les déplacés environnementaux (lire notre article).
    L’enjeu de cette Convention est de garantir une protection interne et internationale des « déplacés environnementaux ». Un terme qui comprend non seulement les réfugiés liés aux changements climatiques mais aussi ceux qui sont contraints à l’exil du fait de catastrophes écologiques, qu’elles soient naturelles, technologiques ou industrielles. Pour Michel Prieur, spécialiste français du droit de l’environnement et co-initiateur de cet appel, la seule solution est la création d’une organisation mondiale environnementale spéciale, doublée d’une haute autorité indépendante et d’un fonds financier. Sans cet “appareillage” institutionnel, l’appel resterait « purement théorique, sans portée et sans moyens pour l’appliquer ».
    500 millions de migrants environnementaux d’ici 2050
    Finalement, c’est en Afrique qu’a été signé le premier texte inter-étatique contraignant sur le sujet. La Convention de Kampala sur la protection et l’assistance des personnes déplacées en Afrique, entrée en vigueur en 2012, « est dotée d’un article sur les déplacements internes liés aux changements climatiques et catastrophes naturelles », note Christel Cournil. Qu’est-ce que cela permet ? La garantie du respect de leurs droits : notamment l’accueil sans discrimination, l’assistance humanitaire, ou la délivrance de documents d’identité. Paulo Iles soutient cette nécessité d’un droit spécifique, soulignant que « les migrants politiques ou économiques peuvent retourner chez eux quand la situation change. Les migrants climatiques n’ont pas cette possibilité. »...lire la suite sur Basta!

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