L'anthropologue américain Kristian Carlson © DR
Un petit séisme secoue aujourd'hui la communauté des paléontologues. À la lueur des dernières études anatomiques, les deux squelettes d'homininé trouvés en 2008 dans une grotte sud-africaine par le paléontologue Lee Berger sembleraient, effectivement, appartenir à une espèce intermédiaire entre les Australopithecus et les Homo. Le maillon manquant ! Les deux squelettes fossilisés, appartenant à une jeune fille d'une vingtaine d'années et à un jeune garçon âgé entre 10 et 13 ans, présentent des caractéristiques physiques à la fois modernes et primitives. Un métissage jamais rencontré jusqu'ici, mais, plus incroyable encore, qui remet en cause la théorie actuelle expliquant les origines de l'espèce humaine.
Dans le magazine Science qui paraîtra demain, Lee Berger et sa nombreuse équipe publient les résultats de deux ans d'auscultation des squelettes : chaque ossement a été scruté, millimètre par millimètre, au moyen des outils les plus sophistiqués du moment. Le crâne du jeune garçon a été scanné par le synchrotron de Grenoble afin de relever l'empreinte du cerveau sur la paroi intérieure. Stupeur de l'anthropologue américain Kristian Carlson en la découvrant : bien que le cerveau soit minuscule, il présente la réorganisation structurelle typique des Homo. Voilà qui contredit absolument la théorie actuelle basée sur un grossissement progressif du cerveau lors du passage entre Australopithecus sediba et Homo. Du coup, Carlson et Berger proposent une nouvelle théorie : à savoir que c'est cette réorganisation du cerveau chez A. sediba qui aurait ultérieurement permis au cerveau des Homo de gagner en volume.
Un australopithèque plutôt habile
Le paléoanthropologue sud-africain Job Kibii, chargé, de son côté, d'examiner le pelvis de la jeune femelle, n'en revient pas non plus : il découvre une structure ressemblant à celle des Homo, c'est-à-dire organisée pour laisser passer, lors de l'accouchement, un gros crâne, alors que celui des sediba est encore petit. C'est à n'y rien comprendre. Enfin, la paléoanthropologue canadienne Tracy Kivell s'est penchée avec plusieurs collègues sur la main de la femelle. Là encore la surprise est grande : d'une part, certaines caractéristiques la font appartenir à un être grimpeur, mais d'autre part, la présence d'un long pouce et de doigts plutôt courts sont typiques d'une main plutôt agile. La chercheuse pousse le bouchon jusqu'à imaginer que cette main est conçue pour fabriquer et manipuler des outils, comme des pierres taillées. Quant à son collègue Bernhard Zipfel, qui a examiné les mains et les pieds des deux squelettes, il affirme que si A. sediba grimpait probablement aux arbres, il était aussi capable de marcher sur ses deux pieds d'une manière tout à fait originale.
Jusqu'à présent, les paléontologues qui refusaient de voir en A. sediba un ancêtre de l'homme asseyaient leur conviction sur l'existence de fossiles d'Homo habilis plus anciens que celui d'A. sediba. Donc ce dernier ne pouvait pas être l'ancêtre du premier. Or la datation des deux squelettes vient d'être revue et corrigée grâce à une nouvelle technique plus précise. Tous deux seraient âgés de 1,98 million d'années, ce qui en fait les aînés du plus vieil Homo connu. Lee Berger pavoise : "Notre étude indique qu'Australopithecus sediba peut être un meilleur ancêtre d'Homo erectus (sous entendu) qu'Homo habilis."
Coppens résiste
Il lui reste encore à convaincre notre Yves Coppens, sorte de monument national. Après avoir étudié soigneusement les études à paraître dans Science, celui-ci reste sur ses positions : "Je n'y vois aucune preuve déterminante d'une filiation entre l'espèce humaine et A. sediba. Cette dernière peut fort bien appartenir à un rameau des homininés ayant pris la même voie que les Homo dans une autre région de l'Afrique, mais qui s'est éteint par la suite." Et il sait de quoi il parle notre bon Coppens, son propre "enfant", la fameuse Lucy (Australopithecus afarensis) qui a longtemps fait figure de grand-mère de l'humanité, a finalement été reclassée comme une lointaine cousine n'ayant pas laissé de descendance...
Le point
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