Les inondations causent de plus en plus de dégâts. Photo DR.
Le grand Tunis « est soumis à de multiples risques naturels » révèle une étude de la Banque Mondiale chargée d’évaluer la vulnérabilité des villes côtières d’Afrique du Nord face au changement climatique et aux désastres naturels. Ces catastrophes pourraient coûter sur la période 2010-2030 plus de 2,2 milliards de dollars à Tunis.
TUNISIE. Le grand Tunis vit sous la menace de «multiples risques naturels » révèle l'étude sur « l’adaptation au changement climatique et la résilience aux désastres naturels dans les villes côtières d’Afrique du Nord ». D'après le document réalisé par la Banque Mondiale et présenté au début de l'été 2011 au Centre de Marseille Pour l'Intégration en Méditerranée (CMI), ces catastrophes pourraient coûter sur la période 2010-2030 plus de 2,2 milliards de dollars à la capitale tunisienne.
Les évènements météorologiques peuvent en effet être d'une brutalité exceptionnelle à Tunis avec par exemple en 2003 186 mm de pluies tombées en 24 heures, 59 jours passés avec des températures supérieures à 35°C, ou encore en 1981 une tempête provoquant des vagues de plus de 10 m.
Les fortes pluies restent l'ennemie numéro un de Tunis. « Tous les bassins versants de l’agglomération sont soumis à des risques d’inondation, dus à différents facteurs : réseaux d’assainissement insuffisants ou absents, bassins écrêteurs amont insuffisants, présence d’obstacles aux écoulements, zones basses en aval, développement incontrôlé de l’urbanisation entraînant un accroissement des débits de ruissellement » s'inquiètent les rédacteurs de l'étude dirigée et financée par la Banque Mondiale. Une inondation comme celle de 2003 est estimée de fréquence centennale. La crue a par endroit dépassé un mètre, envahissant au total 4 500 hectares de zone urbaine.
Une partie de la ville est construite sur des sols instables. « Ils constituent un facteur aggravant du risque sismique, voire constituent eux-mêmes un risque naturel majeur au regard des fortes évolutions observées, jusqu’à 3 cm par an dans les secteurs les plus exposés » estime l'étude. Or les zones les plus sensibles, en périphérie du lac de Tunis et des sebkhas Ariana et Sejoumi, sont justement celles où se concentre l’essentiel de la croissance urbaine. En décembre 856, un tremblement de terre localisé dans la rade de Tunis aurait causé la mort de 45 000 personnes.
La côte recule
L'érosion côtière constituent également une source d'inquiétude. Les barrages créés en amont de la ville, la destruction de dunes à des fins immobilières, la modification des courants par les ouvrages portuaires empêchent les plages de se reconstituer après les tempêtes. Elles reculent d'un peu moins d'un mètre par an, avec par endroit des pointes pouvant atteindre dix mètres, exposant les habitations du bord de mer à l’attaque des vagues. Par fortes tempêtes, en moyenne deux fois par siècle, la mer peut monter de plus d'un mètre. Une simulation réalisée dans le cadre de l'étude de la Banque Mondiale indique « qu’une telle surcote marine conduirait à la submersion d’une partie des zones urbanisées ou industrielles de la Basse Ville, de Radès, d’Ezzahra et d’Hammam Lif Ouest ».
Les risques d'érosion côtière et de submersion vont aller en augmentant avec la fonte des calottes polaires, conséquences du réchauffement de la planète. Le niveau de la mer pourrait ainsi augmenter de 20 cm d'ici 2030. L'étude prévoit que « les plages sableuses encore à l’état naturel risquent de reculer en moyenne de 10 à 15 m d’ici 2030. Dans les secteurs urbanisés déjà protégés, le recul sera plus lent mais inexorable. A l’horizon 2030, se sont environ 27 km de front de mer urbanisés qui passent en risque fort d’érosion, contre 16 km actuellement ».
Au total, le réchauffement climatique fera passer en zone à fort risque d'inondation 1 000 hectares supplémentaires, en hypothèse haute. L’hypothèse de changement climatique retenue modifie la fréquence des précipitations exceptionnelles : la pluie de période de retour 20 ans en situation actuelle devient décennale, la pluie centennale en situation actuelle acquiert une période de retour 50 ans en 2030.
imperméabilisation des sols
La zone du lac de Tunis est particulièrement exposée. Photo DR.
L’urbanisation constitue un second facteur aggravant, tout aussi important que le changement climatique. La ville va gagner 750 000 nouveaux habitants en vingt ans, pour arriver à une population d’environ 3 millions de résidants. Le taux d’imperméabilisation des sols passera ainsi de 31% à 47% d'ici 2030. Les nombreux travaux prévu par les autorités limiteront les dégâts par endroit, mais resteront insuffisants face à l'ampleur du problème. Les situations modélisées en crue centennale pour l’horizon 2030 témoignent d’une aggravation des conditions d’inondation pour les bassins de Ariana-Soukra-Marsa, pour la basse ville, pour le bassin Bardo-Gueriana.
L’urbanisation actuelle de l’agglomération conduit les classes moyennes à s'installer sur l’espace compris entre le lac de Tunis et la sebkha Ariana alors que les « gourbis » de l'ouest et du sud ouest sont peu à peu résorbés. Selon les spécialistes de la Banque Mondiale, « en termes de vulnérabilités, le résultat cumulé de ces changements semble être une réduction de l’exposition des populations les moins favorisées (habitat précaire), contrebalancée par l’apparition de nouvelles tâches urbaines (grands projets) sur des sites relativement exposés aux risques climatiques (lac de Tunis, frange littorale) et par l’expansion d’un habitat informel sans prise en compte des risques naturels. Le secteur le plus vulnérable est clairement celui de la basse ville, entre le port de Tunis et la Médina, qui restera en 2030 un pôle urbain dense, tout en étant soumis à des menaces croissantes en termes d’inondation, de submersion marine et d’instabilité géologique ».
Pour lutter contre ces maux, les autorités tunisiennes n'ont pas fait évoluer depuis 1991 leur cadre réglementaire et organisationnel en matière de prévention et gestion des désastres naturels. Les rédacteurs de la Banque Mondiale estiment « qu'il présente aujourd'hui certaines failles mises en évidence lors des crues de 2003 ». La prévention semble négligée au profit de la seule réponse aux situations d'urgence. L'étude pointe de nombreuses failles : manque d’informations cartographiques et de bases de données géographiques, absence de compétences locales dans le domaine de la gestion des risques naturels, carences réglementaires, recouvrements de compétences entre ministères et établissements publics à compétence technique sectorielle, organisation de la chaîne d’information.
Des solutions économiquement rentables
Le rapport de la Banque Mondial ne fait pas qu'analyser la situation, il propose également un plan d'adaptation de Tunis au changement climatique et aux désastres naturels. Les actions jugées prioritaires concernent la réglementation et l'organisation des autorités (coordination institutionnelle, rationalisation des procédures de gestion des risques naturels, établissement d’un zonage sismique national et mise en place de la règlementation correspondante, modification du cadre législatif concernant le domaine public maritime, mise en place d'un système de surveillance et d’alerte aux inondations, mise en place d'une réglementation contraignante de type « Plan de Prévention des Risques Naturels ».....). Elles présentent l'énorme avantage de mobiliser très peu de moyens financiers.
L'étude considère également comme prioritaires la protection de la basse ville de Tunis, la gestion hydraulique des zones urbanisées inondables, l'élévation du niveau des habitations autour de la Sebkha Sedjoumi, la gestion du ruissellement pour les nouveaux quartiers, le contrôle du mitage pavillonnaire afin de maîtriser le ruissellement.
Le budget global du plan d'adaptation est estimé à 347 millions de dollars. Il pourrait s'étaler sur une quinzaine d'années, mais la moitié de ce budget serait à investir dans les cinq ans, essentiellement dans la protection contre les inondations des secteurs de la Basse Ville et de Bardo-Gueriana. L'étude insiste sur le caractère « économiquement justifié » de ces dépenses, « les bénéfices attendus étant supérieurs ou égaux aux coûts estimés ». Le coût des catastrophes naturelles passerait en effet de 2,2 milliards de dollars à un peu plus de 2,04 milliards de dollars.
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