(Crédit photo : sapheron - Flickr)
La nouvelle a fait grand bruit. En septembre dernier, des chercheurs de quatre universités britanniques annoncent vouloir valider le concept du volcan artificiel pour lutter contre le dérèglement climatique. En effet, en 1991, les poussières émises lors de l’éruption du Pinatubo, obscurcissant le ciel, avaient rafraîchi de 0,5 °C le climat mondial durant quelques mois. Suivant ce modèle naturel, les scientifiques imaginent « refroidir le réchauffement » en injectant dans la stratosphère des sulfates, capteurs de chaleur solaire.
Pour démontrer la faisabilité de leur système, les chercheurs entendaient brumiser quelques dizaines de litres l’eau par heure, à moyenne altitude. L’étape suivante aurait consisté à mettre en batterie 64 tubes de 25 km de long, pour diffuser dans les hautes couches de l’atmosphère, un véritable « fog » soufré. Coût du projet : entre 50 et 500 milliards de livres pour disperser 2 millions de tonnes par an de sulfates et d’aérosols. Succès non garanti.
Sous la pression de l’opinion publique, et notamment d’ETC Group, une ONG spécialisée dans la dénonciation de « dérives scientifiques », les hommes en blanc ont suspendu leur projet épicé. Pour combien de temps ?
Ces concepts, directement issus des laboratoires militaires, effraient autant qu’ils fascinent. En août 1997, déjà, Edward Teller, l’un des plus célèbres physiciens du moment développe l’idée du volcan artificiel : « Dans une communication commune avec ses confrères Lowell Wood et Roderick Hyde, l’un de ceux à qui on attribue la paternité de la bombe H, propose de prévenir le réchauffement de la planète en bombardant l’atmosphère de particules qui réfléchiraient la lumière incidente du soleil à peu de frais. Celui qui fut l’inspirateur du système de défense antimissile de Ronald Reagan, connu sous le nom de « Guerre des Étoiles », suggère d’utiliser à cet effet les canons de la Marine ou encore des avions de chasse. » Mais les scientifiques purement « civils » sont aussi de la partie. Au début des années 1980, l’océanographe américain John Martin fait le lien entre concentration en fer de l’eau de mer et productivité du phytoplancton : « Il est alors convaincu de l’intérêt de cette découverte pour contrecarrer ce que l’on commence à appeler outre-Atlantique le “Global Warming“ ».
L’idée de ce spécialiste des traces métalliques dans les océans est assez simple. En provoquant des conditions favorables à leur éclosion, il est possible de créer des nuages de phytoplancton colossaux, lesquelles plantes marines microscopiques vont pomper le gaz carbonique de l’air grâce à la photosynthèse. « Donnez-moi un demi tanker de fer et je vous donnerai un âge glaciaire », résume-t-il.
Plus fort encore : le bistouri nucléaire. Alors qu’il dirigeait le laboratoire de la physique des plasmas de l’université de Californie à Los Angeles, Alfred Wong estimait possible d’expulser dans l’espace le CO2 superflu au moyen d’un puissant laser, alimenté par un… réacteur nucléaire. Grand connaisseur des capacités réfléchissantes des grandes surfaces vitrées (il a construit des télescopes géants !), le professeur Roger Angel voit plutôt sa solution dans l’espace : « Homme de son temps, l’ancien étudiant d’Oxford et de CalTech s’intéresse aussi aux moyens de contrecarrer les conséquences des gaz à effet de serre. Il préconise, dans un article des Annales de l’Académie des sciences américaine, publié en novembre 2006, de mettre en place un « parasol spatial ». Composé de myriades de miroirs en nitrure de silicium (l’une des céramiques les plus dures et les plus résistantes), le dispositif permettrait de réfléchir vers l’espace environ 1,8 % de l’énergie solaire reçue par la Terre. Roger Angel préfère cette solution à celle de l’injection de sulfures dans l’atmosphère, parce que celle-ci nécessite une infrastructure fonctionnant en permanence. Le parasol Angel ne pose pas ce genre de problème. Une fois installé, il fonctionne seul, et pour longtemps, de surcroît. Reste à le mettre en place. »
Last but not least : aussi coûteux soient-ils, ces dispositifs ne seraient que des cache-misère. Si nous ne réduisons pas nos émissions de gaz à effet de serre, ils ne masqueront que certaines des conséquences des changements climatiques. Qu’adviendra-t-il du climat en cas de panne ? Aucun des promoteurs de la géo-ingénierie n’a encore de réponse à cette question, pourtant vitale.
Cet article a initialement été publié dans la lettre mensuelle de l’Usine à GES.
Pour démontrer la faisabilité de leur système, les chercheurs entendaient brumiser quelques dizaines de litres l’eau par heure, à moyenne altitude. L’étape suivante aurait consisté à mettre en batterie 64 tubes de 25 km de long, pour diffuser dans les hautes couches de l’atmosphère, un véritable « fog » soufré. Coût du projet : entre 50 et 500 milliards de livres pour disperser 2 millions de tonnes par an de sulfates et d’aérosols. Succès non garanti.
Sous la pression de l’opinion publique, et notamment d’ETC Group, une ONG spécialisée dans la dénonciation de « dérives scientifiques », les hommes en blanc ont suspendu leur projet épicé. Pour combien de temps ?
La techno supplante la politique
Car, la pression monte. De toutes parts, soulignent le chercheur Bertrand Guillaume (UTT, Dartmouth College) et Valéry Laramée de Tannenberg, dans le livre qu’ils consacrent à la géo-ingénierie, des voix s’élèvent pour parer au manque de volonté politique d’abaisser les émissions de GES en s’appuyant sur les technologies les plus folles. Comme souvent, la folie de certains chercheurs est aiguillonnée par le génie militaire. Le 10 novembre 1949, Andreï Vyshinsky, ambassadeur soviétique à l’ONU, stupéfie son auditoire : « L’Union soviétique n’utilise pas l’énergie atomique dans le but d’accumuler des bombes atomiques. Elle utilise l’énergie nucléaire pour dynamiser son économie domestique, en rasant des montagnes, en changeant le cours de fleuve, en irrigant des déserts, en traçant de nouvelles voies dans des régions fermées à l’homme. » En pleine guerre froide, les Américains ne sont pas en reste. « Le 3 juillet 1972, The New York Times révèle que l’US Air Force, l’US Navy et la CIA provoquent, depuis la fin des années 1960, des pluies diluviennes sur la piste Hô Chi Minh, sur les radars nord vietnamiens mais aussi… sur les manifestations de bonzes hostiles au pouvoir sud-vietnamien », rappellent Bertrand Guillaume et Valéry Laramée de Tannenberg.Ces concepts, directement issus des laboratoires militaires, effraient autant qu’ils fascinent. En août 1997, déjà, Edward Teller, l’un des plus célèbres physiciens du moment développe l’idée du volcan artificiel : « Dans une communication commune avec ses confrères Lowell Wood et Roderick Hyde, l’un de ceux à qui on attribue la paternité de la bombe H, propose de prévenir le réchauffement de la planète en bombardant l’atmosphère de particules qui réfléchiraient la lumière incidente du soleil à peu de frais. Celui qui fut l’inspirateur du système de défense antimissile de Ronald Reagan, connu sous le nom de « Guerre des Étoiles », suggère d’utiliser à cet effet les canons de la Marine ou encore des avions de chasse. » Mais les scientifiques purement « civils » sont aussi de la partie. Au début des années 1980, l’océanographe américain John Martin fait le lien entre concentration en fer de l’eau de mer et productivité du phytoplancton : « Il est alors convaincu de l’intérêt de cette découverte pour contrecarrer ce que l’on commence à appeler outre-Atlantique le “Global Warming“ ».
L’idée de ce spécialiste des traces métalliques dans les océans est assez simple. En provoquant des conditions favorables à leur éclosion, il est possible de créer des nuages de phytoplancton colossaux, lesquelles plantes marines microscopiques vont pomper le gaz carbonique de l’air grâce à la photosynthèse. « Donnez-moi un demi tanker de fer et je vous donnerai un âge glaciaire », résume-t-il.
Des villes immaculées
Partant du principe que plus la surface terrestre est claire, plus elle renvoie de rayons solaires dans l’espace, deux chercheurs du très sérieux laboratoire Lawrence Berkeley imaginent aussi repeindre en blanc toutes les zones urbanisées : « Ainsi décolorées, les villes pourraient donc compenser 44 GtCO2 (gigatonnes de CO2), voire 57 GtCO2 si l’on y ajoute les bénéfices énergétiques imputables à l’abaissement du recours à la climatisation dans les logements blanchis. » Seule question : y aura-t-il assez de peinture blanche ? L’imagination des scientifiques est sans borne : « Klaus Lackner, professeur à l’université Columbia (à New York), parcourt le monde pour faire part de son invention : l’arbre artificiel », racontent les deux auteurs. Le météorologue John Latham, vend, lui, le concept de trimarans brumisateurs d’eau de mer. En projetant de fines gouttelettes d’eau salée dans le ciel, le chercheur espère blanchir les nuages, lesquels « renverraient dans l’espace une plus grande part d’énergie solaire, compensant l’élévation de la température imputable au renforcement de l’effet de serre ».Plus fort encore : le bistouri nucléaire. Alors qu’il dirigeait le laboratoire de la physique des plasmas de l’université de Californie à Los Angeles, Alfred Wong estimait possible d’expulser dans l’espace le CO2 superflu au moyen d’un puissant laser, alimenté par un… réacteur nucléaire. Grand connaisseur des capacités réfléchissantes des grandes surfaces vitrées (il a construit des télescopes géants !), le professeur Roger Angel voit plutôt sa solution dans l’espace : « Homme de son temps, l’ancien étudiant d’Oxford et de CalTech s’intéresse aussi aux moyens de contrecarrer les conséquences des gaz à effet de serre. Il préconise, dans un article des Annales de l’Académie des sciences américaine, publié en novembre 2006, de mettre en place un « parasol spatial ». Composé de myriades de miroirs en nitrure de silicium (l’une des céramiques les plus dures et les plus résistantes), le dispositif permettrait de réfléchir vers l’espace environ 1,8 % de l’énergie solaire reçue par la Terre. Roger Angel préfère cette solution à celle de l’injection de sulfures dans l’atmosphère, parce que celle-ci nécessite une infrastructure fonctionnant en permanence. Le parasol Angel ne pose pas ce genre de problème. Une fois installé, il fonctionne seul, et pour longtemps, de surcroît. Reste à le mettre en place. »
Les businessmen de la géoingénerie
Après avoir été encouragée par les militaires, l’agitation des neurones est désormais entretenue par quelques entrepreneurs en mal d’entreprise nouvelle. La défense de l’environnement est une cause qui attire peu les milliardaires. La lutte contre le changement climatique marque-t-elle, à cet égard, une rupture ? À voir. « En février 2007, Richard Bronson se démarque de ses confrères richissimes en organisant un concours hors du commun. Le patron du groupe Virgin versera 25 millions de dollars, prélevés sur sa fortune personnelle, à toute personne qui trouvera le moyen d’extraire, chaque année, un milliard de tonnes de CO2 de l’atmosphère. » Plus dangereux encore que le milliardaire aérostier, Nathan Myhrvold, qui entend bien faire du refroidissement planétaire un juteux business. Patron d’Intellectuel Ventures, l’ancien stratège de Microsoft finance des projets plus fous les uns que les autres, dépose les brevets et espère vivre des royautés qu’ils dégageront. Pour le Global Warming, l’ami de Bill Gates a « LA » solution : des brumisateurs géants qui diffuseront des vapeurs soufrées. Ne reste plus qu’à financer leur déploiement. Ce détail n’est pas encore réglé.Plus dure sera la chute
Aussi séduisantes soient-elles, ces « solutions » souffrent de nombreux inconvénients. Aucune n’a été testée en grandeur nature. Or, comme nous le constatons chaque jour un peu plus, jouer avec le climat planétaire n’est pas sans risque. Katharine Ricke montre que les effets locaux du sulfatage de l’atmosphère seraient très variables d’une région à l’autre. Prenant l’exemple de l’Inde et de la Chine, la chercheuse de l’université américaine Carnegie Mellon souligne que les effets bénéfiques en seraient observables, de façon comparable chez les deux géants, vers 2020. À plus long terme, les climats des deux pays évolueraient très différemment. Avec le risque d’exacerber les tensions entre les deux plus grandes nations nucléaires du monde. Ces solutions soulèvent également des questions d’ordre éthique. En effet, « seule une poignée d’États est en mesure de mettre en route une géoingénierie du climat avec des techniques de suppression du carbone ou de gestion du rayonnement solaire. Déjà largement responsables de la situation climatique actuelle, ce sont les États les plus industrialisés qui pourraient se doter de tels dispositifs qui, sans réduire la consommation de pétrole, de gaz ou de charbon, pourraient mettre à mal le climat de grandes régions du monde. Inacceptable. ».Last but not least : aussi coûteux soient-ils, ces dispositifs ne seraient que des cache-misère. Si nous ne réduisons pas nos émissions de gaz à effet de serre, ils ne masqueront que certaines des conséquences des changements climatiques. Qu’adviendra-t-il du climat en cas de panne ? Aucun des promoteurs de la géo-ingénierie n’a encore de réponse à cette question, pourtant vitale.
Cet article a initialement été publié dans la lettre mensuelle de l’Usine à GES.
Sources de cet article
Scénarios d’avenir, Bertrand Guillaume, Valéry Laramée de Tannenberg, Collection Émergences, 160 pages, 22,50 €
Le rédacteur :
L’usine à GES
L’usine à GES
La lettre des professionnels du changement climatique
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire