Après une analyse sophistiquée d’un site archéologique connu, la grotte de Wonderwerk, en Afrique du Sud, une équipe d’anthropologues affirme que la domestication du feu remonterait à un million d’années, soit au moins 200.000 ans plus tôt que ce que l’on pensait.
La datation des débuts de la maîtrise du feu préoccupe les préhistoriens depuis longtemps. Après avoir longtemps avancé la période de 500.000 à 400.000 ans avant le présent, les scientifiques avaient poussé le curseur jusque vers 800.000 ou 700.000 ans. En 2004, une équipe israélienne découvrait des restes de foyers dans le site archéologique de Gesher Benot Ya`aqov, sur les rives du Jourdain. Contestée, la preuve a été renforcée en 2008 par de nouvelles observations de l’équipe de Nira Alperson-Afil.
Chaque révélation de ce genre soulève des doutes car il n’est pas simple de démontrer de manière formelle que les matières calcinées ne proviennent pas d’un incendie naturel. Aujourd’hui, c’est en avançant ses méthodes sophistiquées qu’une équipe internationale présente dans la revue Pnas des éléments démontrant selon elle la trace d’utilisation du feu par des hominidés il y a un million d'années, durant l'Acheuléen. L’étude porte sur les restes – débris végétaux et ossements – découverts dans la grotte Wonderwerk (« miracle » en afrikaans), dans laquelle des fouilles ont révélé de nombreuses traces d'une longue présence humaine.
Les chercheurs ont employé la microspectrométrie infrarouge à transformée de Fourier (IRTF). Cette jolie expression désigne la combinaison d’un microscope et d’un spectromètre à infrarouge, lequel analyse la lumière – infrarouge, donc – réfléchie par l’objet. On peut ainsi remonter à la composition chimique de l’échantillon. Fonctionnant bien sur des corps purs, la technique devient plus délicate sur des mélanges complexes et doit alors s’accompagner d’une analyse par transformée de Fourier. D’où le nom de l’IRTF.
La grotte Wonderwerk, située au nord de l'Afrique du Sud, est immense et a conservé les traces d'une très longue occupation humaine, entre - 800.000 et - 1.500 ans. © Mc Gregor Museum
Il y a un million d'années, Homo erectus cuisinait
Bref, les auteurs nous expliquent que l’étude a été réalisée avec ce qui se fait de mieux aujourd’hui. Le matériel étudié a été retrouvé « dans des surfaces bien délimitées au sein des sédiments ». Selon eux, les analyses montrent « sans ambiguïté » qu’il s’agit bien de foyers réalisés intentionnellement pour la cuisson. La décoloration des surfaces brûlées, expliquent-ils, démontre que le feu qui l’a produite était contrôlé car la température n'a jamais dépassé 700 °C. La datation du site, à un million d’années, repousserait donc la maîtrise du feu bien plus loin dans le passé.
À l’époque, Homo erectus se promenait dans la région et c’est bien à lui que l’on attribuait les premières utilisations du feu. Les auteurs de cette étude s’alignent sur la position de Richard Wrangham qui, dès 1999, affirmait que l’utilisation du feu a eu un retentissement déterminant sur l’évolution des hominidés par le changement de régime alimentaire qu’elle a impliqué. Le chercheur américain fait remonter plus loin encore la maîtrise du feu, mettant en avant des résultats (contestés) sur des restes datés de 1,7 million d’années. Selon lui, le fait de manger une nourriture cuite nécessite moins de puissance musculaire au niveau des mâchoires. Au fil de l’évolution des hominidés, après ce changement de régime, les mâchoires proéminentes auraient cessé de constituer un avantage et la sélection aurait pu favoriser le développement de la boîte crânienne, avec l’augmentation des performances intellectuelles qui l’accompagne, à l’échelle des générations. Pour les anthropologues, la connaissance du moment de la maîtrise du feu est, on le voit, bien plus qu’une affaire de datation.
Par Jean-Luc Goudet, Futura-Sciences
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire