Au
cours de ces dernières semaines, trois instituts réputés, Mc Kinsey, le
MIT et le Forum économique mondial (WEF) ont publié coup sur coup leurs
analyses prospectives respectives des technologies de rupture pour les
années à venir. La comparaison de ces trois « palmarès » technologiques
est riche d’enseignements et fait apparaître certains points de
convergence mais également des différences d’appréciations notables
quant à l’impact économique réel d’un certain nombre d’innovations
scientifiques et techniques.
Le célèbre cabinet McKinsey a publié début mai une étude intitulée
« Les technologies de rupture qui vont transformer la vie et
l’économie » (McKinsey et Nytimes).
Dans cette analyse, McKinsey a sélectionné 12 « ruptures »
technologiques qui doivent répondre simultanément à quatre critères : la
rapidité de diffusion dans l’économie, l’étendue de l’impact économique
en terme de salariés concernés, l’effet en termes de productivité et
enfin l’impact innovant transversal que cette rupture entraîne dans les
autres secteurs scientifiques et industriels.
Il est important de souligner que, selon McKinsey, ce sont les
technologies numériques qui vont se tailler la part du lion au cours des
prochaines années, en termes d’impact économique et social,
puisqu’elles représentent à elles seules 7 des 12 technologies retenues.
Ces technologies numériques sont également celles qui devraient, de
loin, permettre les ruptures économiques les plus importantes et
entraîner le plus de création de richesse.
À cet égard, il est intéressant de constater la grande disparité
d’impact économique entre les différentes technologies retenues par ce
classement : selon McKinsey, la technologie classée en tête, l’Internet
mobile, aura un potentiel économique aussi considérable à lui seul
(10,8 trillions de dollars) que les effets économiques réunis des quatre
technologies suivantes dans le classement, à savoir l’automatisation de
la connaissance (5,2 trillions de dollars), les objets connectés (2,7
trillions de dollars), l’informatique en nuages (1,7 trillion de dollars) et la robotique avancée (1,7 trillion de dollars).
Quant aux sept dernières technologies de ce classement, les véhicules
autonomes (0,2 trillion de dollars), la génomique nouvelle génération
(0,7 trillion de dollars), le stockage
de l’énergie (0,1 trillion de dollars), l’impression 3D (0,2 trillion
de dollars), les matériaux avancés (0,2 trillion de dollars),
l’exploration pétrolière avancée (0,1 trillion de dollars), et enfin les
énergies renouvelables (0,2 trillion de dollars), on constate que
l’addition de leur impact économique global atteint à peine l’impact
économique de la robotique avancée et est six fois moins important que
l’impact de la technologie phare, l’Internet mobile.
Cette grande disparité d’impact s’explique si l’on prend en
considération le nombre de personnes qui vont rapidement être concernées
dans leurs vies professionnelle et personnelle par la diffusion de ces
différentes innovations.
Or,
McKinsey considère que ce sont les trois premières technologies
numériques de son classement, l’Internet mobile, l’automatisation de la
connaissance et l’Internet des objets qui, démultipliant leurs effets
réciproques, auront les conséquences les plus radicales sur la
productivité et l’efficacité de l’économie mondiale dans son ensemble.
D’une manière un peu curieuse et à mon sens qui demandera à être
vérifiée, la robotique avancée, bien qu’elle soit reconnue par cette
étude comme une technologie à très fort potentiel économique et
industriel, n’arrive qu’en cinquième position de ce classement.
On peut pourtant se demander, compte tenu du vieillissement
démographique mondial sans précédent qui va se produire au cours des 30
prochaines années, et des immenses besoins médicaux sanitaires et
sociaux qui en résulteront, si la robotique intelligente n’aura pas un
impact au moins aussi important d’ici une génération, que l’Internet
mobile ou la connaissance automatique.
De la même façon, on reste un peu dubitatif quant à la faible place
accordée par ce classement aux ruptures technologiques liées aux
matériaux intelligents et à la production, au transport et au stockage
de l’énergie.
Il semble en effet assez probable que des révolutions technologiques
majeures vont avoir lieu avant une dizaine d’années dans le domaine clé
de l’énergie, à commencer par l’exploitation industrielle des hydrates
de méthane sous-marin et de l’hydrogène naturel et par l’arrivée de
cellules solaires organiques à haut rendement et à faible coût, autant
de bouleversements technologiques dont l’impact économique global
pourrait être bien plus important que celui prévu par l’étude de
McKinsey.
Par
ailleurs, certains économistes observent que depuis 20 ans, l’essentiel
de la valeur créée par les technologies numériques s’est traduit par
une baisse du prix des produits et non par une forte augmentation des
revenus. Il n’est donc pas du tout certain que les technologies
numériques restent à ce point dominantes, comme moteur de la croissance
économique, par rapport à d’autres domaines d’innovation tout aussi
essentiels pour la planète et ses habitants, comme les biotechnologies,
les technologies de l’énergie et les technologies « vertes », liées à la
restauration et à la valorisation de l’environnement.
Si l’on compare à présent le classement technologique de McKinsey avec ceux que viennent de publier le MIT (Technology Review), et le Forum économique mondial (Forum),
on constate qu’un rééquilibrage très important s’opère en faveur des
technologies énergétiques, des biotechnologies et enfin des technologies
environnementales.
Dans le domaine énergétique, les classements du MIT et du Forum
économique mondial convergent pour reconnaître comme technologies de
rupture la nano-électronique organique qui devrait permettre de réaliser
des cellules solaires photovoltaïques souples, peu coûteuses et très
efficace en termes de rendement, ce qui bouleverserait évidemment la
donne énergétique mondiale.
Autre domaine où des ruptures technologiques aux conséquences
économiques majeures pourraient intervenir : la production de
biocarburants à bilan carbone neutre et n’entrant pas en compétition
avec les productions agricoles, qu’il s’agisse de carburants issus du
bois ou produits à partir de culture industrielle d’algues marines.
Autre innovation dans le domaine de l’énergie considérée comme
stratégique par ces deux instituts de recherche, les réseaux en grille,
ou réseaux intelligents (smart grid), conçus pour gérer et intégrer
l’ensemble des sources d’énergie renouvelable et capables de prévoir et
d’ajuster en temps réel l’offre et la demande d’énergie.
Dans le domaine des biotechnologies, ces deux autres classements
réhabilitent également certaines innovations scientifiques et techniques
majeures, telles que la production d’aliments à haute valeur nutritive,
grâce à l’utilisation de techniques génomiques permettant d’optimiser
la production de protéines par un contrôle génétique très fin des
productions agricoles.
La nanomédecine et les nanomédicaments sont également reconnus par
ces deux classements en tant qu’innovation de rupture majeure,
susceptible d’apporter des solutions thérapeutiques efficaces et
personnalisées dans le traitement des grandes pathologies tueuses
(cancer, maladies cardio-vasculaires et maladies neurodégénératives) et
d’être à l’origine d’une nouvelle révolution médicale.
Enfin, ces deux classements réintègrent les technologies « vertes »
et notamment celles qui permettent la dépollution, la purification et le
dessalement de l’eau grâce aux énergies renouvelables ou à
l’utilisation de bactéries génétiquement modifiées.
Même si personne ne conteste l’importance et l’impact de la révolution numérique
en termes économiques, sociaux et culturels, il faut se garder de céder
à un « réductionnisme numérique » et se souvenir que la longue histoire
scientifique, technologique et économique des sociétés humaines a été
régulièrement bouleversée par des découvertes et inventions totalement
inattendues et qui n’étaient pas déductibles des technologies dominantes
à une époque donnée.
On peut cependant s’étonner qu’aucune de ces trois études
prospectives, sensées déceler les ruptures technologiques majeures qui
s’annoncent, n’évoque dans ses prévisions certains sauts scientifiques
qui sont à présent passés de l’ordre du possible à celui du probable,
comme l’ordinateur quantique, l’optogénétique ou la fusion
thermonucléaire contrôlée.
Il y a quelques jours, Google et la NASA ont ainsi annoncé qu’ils
venaient de faire l’acquisition d’un ordinateur quantique fabriqué par
la société canadienne D Wave (Scientific American et Nytimes).
Selon les premiers tests réalisés, cette machine serait capable de
résoudre la plupart des problèmes 11 000 fois plus rapidement que les
superordinateurs conventionnels. Ce gain de rapidité pourrait même
atteindre un facteur 50 000 pour les calculs les plus complexes. La
machine actuelle travaille sur 512 Qbits mais la NASA envisage de porter
cette puissance déjà phénoménale à 2048 Qbits.
Si les performances de cet ordinateur quantique se confirment, c’est
l’ensemble de notre civilisation qui s’en trouvera radicalement
bouleversée. En effet, il deviendra possible avec des machines d’une
telle puissance d’effectuer des calculs, modélisations et simulations
qui sont aujourd’hui totalement hors de notre portée. En biologie par
exemple, on pourra simuler l’évolution des structures et des phénomènes
les plus complexes. La conception de nouvelles molécules thérapeutiques
s’en trouvera révolutionnée.
De telles machines permettront également des pas de géant en matière
de compréhension et de prévision du climat ou encore de conception de
nouveaux matériaux aux propriétés inédites.
Si ces machines quantiques tiennent leurs promesses, l’intelligence
artificielle partagée et accessible à tous deviendra une réalité et il
sera alors possible d’exploiter avec une efficacité à peine concevable
aujourd’hui les immenses ressources cognitives disponibles sur
l’Internet...lire la suite sur Gizmodo
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