samedi 29 juin 2013

Mieux conservés, nos cadavres polluent de plus en plus


(Crédit photo : Rama - Wikimedia Commons )
 
Pesticides, alimentation, thanatopraxie… De nombreux facteurs ralentiraient le processus de décomposition des corps et contribueraient ainsi à souiller l'environnement.
« Oui, tu es poussière, et à la poussière tu retourneras », dit la Genèse. Oui, vous allez mourir, comme nous tous « ici bas ». Mais vous êtes-vous déjà demandé ce que devenait votre corps, cette bonne vieille carcasse, au dernier souffle expiré ? Terra eco s’est posé la question. Et ô misère, même mort, nous sommes de sacrés pollueurs...

Si comme 65% des Français vous avez choisi l’inhumation, votre corps va peu à peu se décomposer. A en croire la légende – et une drôle d’expérience plus ou moins scientifique –, vous allez commencer par perdre 21 grammes. Un poids en moins pour « l’enveloppe charnelle ». D’ailleurs elle fait bien, l’âme, de s’éclipser... Mais le corps, lui, est bien là, et quatre minutes après la mort, il commence à vivre sa vie.
 
Mais pas si simple de devenir squelette. Le processus est plus ou moins long. Tout dépend en fait de votre état à l’heure du trépas. Selon un article paru dans Courrier international en 2003, les corps ne se décomposent plus comme avant. « Alimentation humaine », « pesticides », « sur-arrosage des fleurs »… Les hypothèses expliquant le phénomène sont multiples. Des hypothèses, et pour cause : aucune étude n’a analysé sur le long terme la décomposition des corps. Il existe bien quelques « Body farms », mais leur objectif est plutôt d’élucider des affaires criminelles.
Serge Wilkins [1], ancien thanatopracteur, aujourd’hui à la tête d’une école d’embaumeurs, assure pourtant : « Nous repoussons la mort mais il faut voir dans quelles conditions : avec des chimiothérapies, des antibiotiques… Par exemple, les personnes alitées qui développent des escarres meurent dans des états terribles. Quand j’ai commencé il y a 30 ans, les corps se décomposaient beaucoup moins vite. » Pour Gaëlle Clavandier [2], sociologue de la mort, c’est tout l’inverse : « Vu que le corps vivant se décompose moins vite qu’avant, peut-être est-ce la même chose avec le corps mort. Et l’idée que les conservateurs “conservent” ne paraît pas illogique. »
 
 

Quand les morts hantent les vivants

 
Même son de cloche chez Pierre Larribe, ancien thanatopracteur et membre du CPFM (Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie) : « J’ai des retours ponctuels, des histoires de corps exhumés et plus ou moins décomposés qui ne permettent pas la rotation des corps. » Car en France, une dépouille doit légalement, et au minimum, rester cinq ans en terre avant d’être déplacée vers l’ossuaire. C’est ce qu’on appelle le délai de rotation. Celui-ci vise à éviter la surpopulation mortuaire. Seul moyen de reposer en paix : acheter une concession et être tranquille pour au moins dix ans.
 
Mais revenons à nos macchabées. Pour Tanguy Châtel [3], sociologue de la mort, « exhumer des corps peu décomposés est un phénomène récent, on en prend la mesure depuis peu ». Mais alors, quels sont les autres facteurs, hormis les petites spécificités de chacun, qui jouent dans cet allongement, supposé, de la durée de décomposition ?
D’un cimetière à l’autre, la durée de décomposition varie. Naturellement. Comme pour les plantes qui poussent plus ou moins bien selon la nature du sol. « Certains terrains sont plus favorables que d’autres à la décomposition », souligne Pierre Larribe. En résumé, plus la terre est aérée, plus vite s’opère la décomposition. A l’inverse, les terrains tassés ou très humides ralentissent le processus. Mais pour Tanguy Châtel, « l’inhumation s’inscrit dans une vision de la mort qui doit prendre son temps : la pierre (de la tombe, ndlr) est un matériau solide qui reste et protège le corps ». Et Gaëlle Clavandier ajoute que « le choix du cercueil se fait dans l’optique de protéger le corps ».
 
 

Six pieds sous terre, les cadavres flottent

 
Autre souci : un corps plongé dans l’eau se décompose plus lentement. Pas de risque pensez-vous ? On ne met pas nos défunts dans des piscines. Et pourtant. « Dans une période comme en ce moment où il pleut depuis dix mois, l’eau remonte des nappes, donc les corps flottent », assure une membre du Sifurep (Syndicat intercommunal funéraire de la région parisienne). Alors dans certains cimetières, on a trouvé une parade : « Normalement, le caveau doit être hermétique mais bien souvent il y a montée des eaux donc on fait des trous dans les caveaux pour que les corps ne baignent pas dans l’eau », assure Serge Wilkins.
 
Mais la présence de l’eau dépend aussi de la situation géographique d’un cimetière. Car un cimetière, ça ne s’implante pas n’importe où. A Paris, où l’espace manque, six cimetières extra muros ont été construits. Diastrata, un cabinet d’hydrogéologie, est souvent appelé à donner son avis sur les nouvelles implantations : « Les cimetières doivent être implantés en amont des villes, et les tombes être au minimum un mètre au-dessus de la nappe phréatique pour éviter les contaminations bactériennes dues aux matières qui s’échappent des corps. »
Et pour cause, « imaginez les problèmes sanitaires si un corps se décompose et qu’il y a de l’eau en dessous… Ça s’infiltre dans les nappes phréatiques, c’est dégoûtant », décrypte un gérant de pompes funèbres parisien. Précisons néanmoins que pour les personnes infectées par des maladies transmissibles (Sida, choléra, peste, variole), la dépouille est protégée dans un cercueil hermétique.
 
 

Conserver ou disparaître ?

 
Mais il n’y a pas que les maladies qui risquent de contaminer l’environnement. « Dans les grandes agglomérations, les entreprises funéraires pratiquent des soins de conservation sur 80% de leurs défunts clients », selon Gaëlle Clavandier. De quoi infester les cimetières de biocides. Des produits, dont le formol, bientôt interdits car reconnus cancérogènes pour ceux qui les manipulent. Et qui, par capillarité, s’infiltrent dans les sols.
Or, la thanatopraxie connaît un réel engouement depuis le milieu des années 2000. Elle permet, en remplaçant les fluides du défunt par des produits à base de formol, de repousser de quelques jours le début de la décomposition afin de présenter le défunt à sa famille, comme ensommeillé. Sauf que pour l’embaumeur Serge Wilkins, « les soins sont souvent bâclés, c’est de l’abattage, donc ce n’est pas ça qui va retarder le processus. D’ailleurs, parfois, les familles devraient se réjouir si le corps n’a pas commencé à se décomposer au moment des funérailles ».
Alors qu’« il y a un siècle on utilisait de la chaux pour faire disparaître les corps, dans les années 1970 on a mis les corps dans des housses hermétiques qui empêchaient la décomposition. Du coup, c’était terrible. Lors des exhumations, les corps flottaient dans leurs liquides... et ne se décomposaient pas », précise l’embaumeur. Notre époque se retrouve embourbée dans un sacré paradoxe : développement des pratiques de thanatopraxie d’un côté, boom de la crémation de l’autre. Conserver ou faire disparaître le corps.
Pour François Michaud-Nérard [4], auteur spécialisé dans le domaine, « dans les années à venir, avec l’augmentation de la crémation, on aura beaucoup moins besoin de cimetières ». Mais là encore, la crémation n’est pas le remède à tous les maux : si les crématorium se doivent de respecter de nouvelles règles en matière de pollution, le CO2 n’est pas, pour l’instant, pris en compte dans les calculs. Et vous qui croyiez ne plus entendre parler d’écologie après la mort...

Post mortem : décomposition des premiers jours
 
Le processus de décomposition commence quatre minutes seulement après le dernier souffle. Les cellules, privées d’oxygène et d’apport nutritif, sont détruites par leurs propres enzymes. C’est l’autodigestion ou autolyse. Les bactéries s’attaquent aux tissus, la putréfaction se manifeste et à partir du deuxième jour post mortem, une tâche verte s’étend peu à peu de l’abdomen au thorax. Les gaz produits par les bactéries s’accumulent et des cloques se forment sous la peau. Des liquides et des gaz sont expulsés tandis que les organes éclatent.
[1] Serge Wilkins, embaumeur et fondateur de Wilkins embalming academy
[2] Gaëlle Clavandier, maître de conférence à Saint-Etienne et Lyon, auteure de Sociologie de la mort. Vivre et mourir dans la société contemporaine
[3] Tanguy Châtel, sociologue, Les Français face à la mort, 2011-2012 pour le CPFM
[4] François Michaud-Nérard des services funéraires de la ville de Paris a tenu à parler en qualité d’auteur de La révolution de la mort, et non dans le cadre de ses fonctions
 
http://www.terraeco.net/Mieux-conserves-nos-cadavres,50386.html
NP le nouveau paradigme

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