mardi 31 mai 2011

Accidents nucléaires, inondations, tornades, marées noires... le siècle des catastrophes

- La ville américaine de Joplin, le 23 mai 2011, frappé par une tornade. REUTERS/Eric Thayer -

Pourquoi la planète semble devenir folle, et comment faire pour y remédier?

Ce siècle sera celui des catastrophes. Tout comme le XXe siècle fut marqué par les guerres mondiales, les génocides et les conflits idéologiques exacerbés, le XXIe siècle sera le siècle des cataclysmes naturels, des crises technologiques et de l’alliance contre-nature des deux. Ce sera le siècle où, pour toutes sortes de raisons, ces choses sur lesquelles nous comptions nous feront défaut.
A la fin du mois d’avril, tandis que le fleuve Mississippi entrait en crue pour provoquer la pire inondation des dernières décennies et que les habitants de l’Alabama et d’autres états fouillaient les décombres après une série de tornades historiques, lors d’une réunion à Anaheim, en Californie, des physiciens discutaient des dangers posés par le soleil.
Pour les scientifiques, les éruptions solaires sont des catastrophes en puissance. C’est pour cette raison que l’une des sessions de la réunion annuelle de l’American Physical Society était consacrée à discuter des dangers des impulsions électromagnétiques (EMP) provoquées par les éruptions solaires ou les attentats terroristes. Ce genre d’impulsions pourraient griller les transformateurs et priver d’électricité la plus grande partie du pays. L’année dernière, le Oak Ridge National Laboratory a publié une étude affirmant que des années seraient nécessaires pour réparer les dégâts et que cela coûterait des milliers de milliards de dollars.
Eruption solaire capturée par le Solar Dynamics Observatory (SDO) en mars 2010. REUTERS/NASA
Eruption solaire capturée par le Solar Dynamics Observatory (SDO) en mars 2010. REUTERS/NASA
Et pourtant ce n’est peut-être même pas ça, la catastrophe qui devrait nous inquiéter. Nous aurions sans doute davantage de raisons, en effet, de nous faire du souci au sujet de l’ARkStorm. C’est le nom que le Multihazards Demonstration Project de l’US Geological Survey (USGS) a donné à une hypothétique tempête qui transformerait la plus grande partie de la Vallée centrale californienne en une gigantesque pataugeoire. Le phénomène s’est déjà produit, en 1861-62, lorsqu’il a plu pendant 45 jours sans interruption. L’USGS explique: «L’ARkStorm concentre la chaleur et l’humidité du Pacifique tropical, formant une série de rivières atmosphériques à la violence proche de celle des ouragans, qui vont aller se fracasser sur la côte ouest américaine pendant plusieurs semaines.»
La conséquence, selon l’USGS, pourrait être une inondation qui coûterait 725 milliards de dollars de dégâts directs liés à la perte de propriété et d’impact sur l’économie.

Théorie du «Cygne noir»

Mais que cela ne vous fasse pas oublier pour autant la faille de Cascadia. C’est la limite entre deux plaques tectoniques au large de la côte nord-ouest du Pacifique, qui pourrait générer un tsunami similaire à celui qui a dévasté le Japon en mars dernier. La faille de Cascadia court de l’île de Vancouver au nord de la Californie, et la dernière fois qu’elle a cédé, le 26 janvier 1700, elle a provoqué un séisme puis un tsunami. Et elle peut rompre à n’importe quel moment, avec des conséquences catastrophiques.
Tous ces événements ont en commun un degré de probabilité assez bas et des conséquences très graves: c’est la théorie du «cygne noir» Si ces événements sont imprévisibles, ils ne doivent pas vous empêcher de dormir pour autant. On ne peut pas vivre en ayant peur du soleil. Ni en étant épouvanté à l’idée qu’un caillou va tomber du ciel et fracasser la Terre, ni que la terre va s’ouvrir sous vos pieds et vous avaler tout rond. L’un des secrets pour ne pas devenir fou consiste à savoir ignorer les dangers hautement improbables à tout moment de la vie.
Pourtant, au cours du siècle qui nous attend, nous allons avoir l’impression que ces cygnes noirs et bien d’autres s’imposeront avec une étonnante régularité. Ce qui s’explique par plusieurs raisons. Nous avons fait le choix de manipuler la planète. Nous avons construit de vastes réseaux de technologies. Nous avons créé des systèmes qui fonctionnent très bien en général, mais restent vulnérables aux catastrophes. Il est de plus en plus difficile pour quiconque, que ce soit une personne, une institution ou une agence, d’appréhender tous les éléments interconnectés de la société technologique. Les pannes peuvent s’enchaîner. Il existe des points faibles non décelés dans le réseau. De petites pannes peuvent avoir de grandes conséquences.
Mais surtout, il y a beaucoup plus de gens, et beaucoup plus de choses, susceptibles d’être touchés par des catastrophes. Ce n’est pas qu’il y ait tout d’un coup davantage de tremblements de terre: nous sommes tout simplement sept milliards d’humains aujourd’hui, dont la majorité vivent en ville. En 1800, une seule agglomération comptait un million d’habitants: Beijing. Or, au dernier recensement, 381 villes atteignaient au moins ce chiffre.

De plus en plus d'habitants dans des zones fragiles

Beaucoup sont des «mégapoles» aménagées dans des zones sismiques—Mexico, Caracas, Téhéran et Katmandou figurent au palmarès de celles qui associent une faiblesse d’infrastructure (des bâtiments à la maçonnerie non renforcée) et des fondations instables.
Les catastrophes naturelles ne cesseront de s’accompagner de crises technologiques—et vice-versa. En mars, le tremblement de terre au Japon a déclenché la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi. L’année dernière, une faille technologique sur la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique a provoqué la crise environnementale de la marée noire (je relate l’explosion de Deepwater Horizon et la crise de gestion qui s’est ensuivie dans un nouveau livre: A Hole at the Bottom of the Sea: The Race to Kill the BP Oil Gusher).
Dans les deux catastrophes, celle de Deepwater Horizon et celle de Fukushima, les systèmes de sécurité étaient loin d’être aussi résistants que le pensaient les entreprises concernées. Quand ces accidents technologiques se produisent, il existe toujours de petits chemins bien cachés par lesquels des gremlins peuvent venir s’infiltrer.
Dans le cas de Deepwater Horizon, une série de décisions prises par BP et ses fournisseurs ont provoqué une perte de contrôle du puits—l’explosion initiale. L’énorme bloc obturateur de puits sur le sol marin était équipé d’une paire de mâchoires appelées blind shear rams. Elles étaient supposées cisailler le train de tiges et fermer le puits.
L’enquête a montré que l’éruption de gaz initiale a gauchi la tige et empêché les mâchoires du bloc obturateur de la couper proprement. Par conséquent, le «plan de secours,» qui consistait à couper la tige, a été hors service dès le départ, c’est-à-dire lors de la perte de contrôle du puits.
Fukushima disposait aussi d’un plan de secours qui n’a rien eu de secourable. La centrale nucléaire possédait des générateurs de secours au cas où le réseau électrique tomberait en panne. Mais ces générateurs, stockés en zone inondable, ont été détruits par le tsunami. Sans électricité, l’entreprise n’avait aucun moyen de refroidir les barres de combustible nucléaire. Dans un sens, il s’agissait d’un problème tout bête: une simple coupure de courant. Certains réacteurs modernes possèdent des systèmes de refroidissement de secours passifs—ils s’appuient sur la gravitation et l’évaporation pour faire circuler l’eau du système de refroidissement.
Piscine d'entreposage du combustible du réacteur N°4 de Fukushima, le 8 mai 2011. TEPCO/REUTERS
Piscine d'entreposage du combustible du réacteur N°4 de Fukushima, le 8 mai 2011. TEPCO/REUTERS

Les risques du «cloud computing»

Charles Perrow, auteur de Normal Accidents, m’a confié que l’infrastructure informatique était un cataclysme en puissance. «Guettez les pannes du cloud computing», m’a-t-il prévenu dans un mail. «Elles auront des conséquences sur les systèmes de surveillance médicaux et dans bien d’autres domaines encore.»
La technologie permet aussi de réduire les conséquences des catastrophes, naturellement. Les pandémies restent une menace, mais la médecine moderne peut nous aider à garder une longueur d’avance sur les microbes en évolution. Les satellites et les modèles informatiques ont aidé les météorologues à anticiper les orages mortels du 27 avril et à avertir les gens de se mettre à l’abri des tornades.
Des règles de construction plus rigoureuses sauvent des vies en cas de tremblements de terre. Le Chili, dont le code de construction est très strict, a été frappé par un puissant séisme l’année dernière mais a déploré bien moins de morts et de dégâts qu’Haïti, pays plus pauvre, quelques semaines auparavant.
Les inondations provoquées par la crue du Mississippi sont une illustration de ce dont la technologie est capable, pour le meilleur et pour le pire. Alors que j’écris ces lignes, le génie de l’armée américaine ouvre les vannes du déversoir de Morganza et inonde la plus grande partie du bassin d’Atchafalaya. Ce n’est pas une «catastrophe» mais une solution par défaut, puisque l’alternative est l’inondation de villes en aval et une éventuelle rupture des digues. Naturellement, il n’est pas exclu que les digues cèdent quand même. Nous verrons. Mais c’est comme ça que le système est censé fonctionner.
D’un autre côté, le système d’évacuation des eaux du bassin versant du Mississippi est conçu de façon à augmenter les risques d’inondations. Les champs de maïs de certaines parties de l’Upper Midwest, par exemple, ont été «carrelés» avec des tuyaux qui transportent rapidement les excédents d’eau de pluie vers des ruisseaux aux fonds enrochés puis vers des rivières bordées de digues.
Cela fait des décennies que nous avons abandonné l’évacuation naturelle. Le Mississippi ressemble aujourd’hui à un cathéter. Si on avait laissé la nature suivre son cours, une grande partie des crues en aval du fleuve aurait été atténuée par son épanchement dans des zones inondables en amont (son lit principal se serait depuis longtemps détourné vers le bassin fluvial d’Atchafalaya—voyez The Control of Nature, de John McPhee—et la Nouvelle-Orléans ne serait plus une ville fluviale).

Le rôle du réchauffement

Le réchauffement climatique est une inconnue dans le programme des catastrophes de notre siècle. Les blogs sont agités par d’énergiques débats autour de l’hypothèse que les récents événements climatiques (tornades, inondations) sont imputables au réchauffement de la planète. C’est une question épineuse et j’entends exercer mon droit de retrait pour la plus grande partie de ce qui la concerne.
Mais je crois qu’il est clair que le réchauffement climatique va exacerber les catastrophes naturelles en règle générale ces prochaines années, et introduire un nouveau facteur de risque et d’incertitude dans un avenir qui en est déjà bien chargé. Nous n’avons vraiment pas besoin de ça.
Et au fait: tout débat autour de la «géo-ingénierie» comme solution au réchauffement climatique doit être mené en gardant en mémoire que les systèmes d’ingénierie peuvent et vont tomber en panne. Personne ne veut miser l’avenir de la planète sur un arrangement technologique compliqué où tout doit fonctionner à la perfection. Si la panne ne peut être envisagée, peut-être ne devrions-nous même pas nous y aventurer.
Alors, si nous sommes incapables de trouver des solutions technologiques aux cataclysmes que notre technologie a provoqués, et si les catastrophes naturelles continuent de s’abattre sur nous comme elles le font depuis la nuit des temps, quelle stratégie adopter? Je veux dire, à part le désespoir?
Eh bien ça a toujours été mon choix, mais voici quand même quelques réflexions pratiques à ajouter au débat. Tout d’abord, nous pourrions essayer de confier la régulation à des gens qui n’ont pas d’intérêts financiers en jeu. Ce qui pourrait signifier, par exemple, des régulateurs gouvernementaux qui gagneraient autant d’argent que ceux qu’ils seraient chargés de réguler.
Ou bien un dispositif de régulateur privé qui contrôlerait le secteur, et sévirait contre les opérateurs voyous. En bref, nous ne voulons pas que toutes les décisions risquées soient prises par des gens qui auraient des intérêts financiers dans l’histoire.
Deuxièmement, il faut garder le sens des proportions: l’apparent déchaînement de cataclysmes ne présage pas la fin du monde. Gare à l’hystérie catastrophiste médiatique. Les catastrophes en série du XXIe siècle seront, dans une certaine mesure, une affaire de perception.

Savoir vivre comme au XVIIIe siècle

Notre sentiment de rebondir de cataclysme en désastre sera en partie dû au rétrécissement du monde et à l’ubiquité des technologies de communication. Il y aura toujours un [journaliste] Anderson Cooper et [un spécialiste médical de la CNN] Sanjay Gupta sur le site d’une catastrophe quelconque, à demander ce que diable peut bien fabriquer la cavalerie.
Troisièmement, il nous faut penser en terme d’amélioration de notre «résilience» sociétale. C’est le dernier mot à la mode dans le domaine de la préparation aux catastrophes. Pensez à ce que vous feriez, et à ce que ferait votre communauté, après un cataclysme. On ne peut pas toujours éviter le désastre, mais peut-être peut-on imaginer la manière de s’en remettre rapidement. Comment communiquerions-nous si une éruption solaire grillait les deux tiers du réseau électrique du pays? Quel moyen aurions-nous de savoir ce qu’il se passe d’ailleurs? Peut-être faudrait-il de temps en temps organiser un week-end «XVIIIe siècle» pour voir comment les gens arrivent à survivre deux jours sans électricité, sans antennes relais, ni câble, ni téléchargement iTunes—le cauchemar de Hobbes dans toute sa splendeur.
Mettez au point un plan d’urgence. Achetez des piles et des bouteilles d’eau pour commencer. Trouvez comment fonctionnent les choses autour de vous. Renseignez-vous sur l’infrastructure de votre communauté. Lisez des livres sur les sciences, les technologies et l’ingénierie, et ne vous inquiétez pas si le jargon vous échappe. Puis, une fois que tout cela sera fait, vivez votre vie, et cherchez le bonheur sur une planète qui, si elle est parfois dangereuse, est de loin la meilleure que nous ayons.
Joel Achenbach
Traduit par Bérengère Viennot

Slate.fr

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