lundi 18 avril 2011

Bangkok s'enfonce peu à peu dans la mer


Tous les spécialistes décrivent des scénarios cauchemardesques pour la mégapole de 10 millions d'habitants . 

Bangkok est condamnée. «Le mal progresse vite. Très vite», met en garde le météorologue Smith Dharmasaroja. La capitale thaïlandaise «aura les pieds dans la mer d'ici à vingt ans. Et en 2100, elle sera l'Atlantide asiatique», estime-t-il. Les Bangkokiens auraient fini par s'accommoder des déluges, des crues fluviales du Nord et des mascarets du Sud, s'ils n'avaient à faire face au redoutable «effet ciseaux» : un affaissement des sols argileux de 1,5 à 5,3 cm par an parallèlement à l'élévation du niveau de la mer.
La trépidante mégapole de 10 millions d'habitants qui se déplie sur le delta du fleuve Chao Phraya, lequel se jette dans le golfe de Thaïlande, une vingtaine de kilomètres plus au sud, est classée par l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) parmi les villes les plus menacées par les inondations côtières dans les soixante années à venir. «Connaissez-vous une autre ville où une voiture et un bateau sont entrés en collision ?» Pour Smith Dharmasaroja, l'anecdote de cet accrochage avec des résidents ne pouvant se déplacer qu'en bateau dans les rues de la capitale après des pluies diluviennes présage l'avenir submergé de la «cité des anges».

Cocktail de virus 



La plaine de Bangkok, naguère plate et en pente douce, à 1,5 mètre au-dessus du niveau de la mer, s'effondre en cuvette. Aujourd'hui, la plus grande partie de l'agglomération se trouve au-dessous du niveau de la mer. Les quartiers de l'Est, comme Lad Phrao, Phra Khanong et Bang Na, ont perdu 1,7 mètre en l'espace de soixante ans. Bâtie sur une couche d'argile, Bangkok craque, soupire, geint et s'enfonce. Ce processus naturel est amplifié par le pompage intensif de la nappe phréatique et le poids des structures statiques comme les gratte-ciel : «Bangkok est une ville obèse sur un squelette d'enfant», tranche le géologue Thanawat Jarupongsakul. Le tassement des sols a modelé la morphologie de la ville. Les routes s'effondrent. Les piliers des ponts, construits sur des fondations profondes, ont d'étranges renflements à leur base. Et le perron des édifices s'allonge au rythme de l'affaissement de la chaussée.
Les spécialistes ne s'accordent pas sur la date à laquelle Bangkok, fondée en 1782, boira la tasse mais tous dépeignent des scénarios cauchemardesques. Pour l'océanographe Anond Snidvongs, directeur d'un centre de recherche sur le changement climatique, si la submersion complète n'est pas imminente, les inondations occasionnelles pourraient concerner la moitié de la région de Bangkok, soit plusieurs centaines de kilomètres carrés, inhabitable pendant soixante jours par an. La Banque mondiale estime qu'un million de personnes vivront dans des zones inondables à Bangkok en 2050. D'autres attirent l'attention sur la santé de millions d'individus, menacée par le cocktail de virus qui prospèrent dans les eaux fétides où macéreront pendant des mois des quartiers entiers.
Jusqu'à présent, le gouvernement s'est montré plutôt attentiste, se contentant de protéger Bangkok des inondations par un réseau de digues le long du fleuve, de coupe-flots autour de la ville, un système de stations de pompage, de canaux de détournement des eaux et de bassins de rétention. Le dispositif est prévu pour faire face à une montée des eaux de 2,5 mètres maximum. Dans les années 1990, une loi est censée avoir mis un peu d'ordre dans le prélèvement d'eaux souterraines par les puits artésiens. Mais les industriels continuent allègrement de pomper légalement et illégalement 2,8 millions de mètres cubes chaque année de la nappe phréatique. «Bangkok est le cœur de la Thaïlande. Si nous perdons Bangkok, tout s'arrêtera. Nous devons absolument protéger notre cœur. Il est déjà presque trop tard», s'inquiète Smith Dharmasaroja.

LE FIGARO

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