mardi 12 avril 2011

Les frères Koch, financiers du Tea Party

 
Glenn Beck, un animateur de radio conservateur, est un des leaders des "Tea party".
Glenn Beck, un animateur de radio conservateur, est un des leaders des "Tea party".AFP/NICHOLAS KAMM
Fin février, le blogueur Ian Murphy, du site Buffalo Beast, piégeait Scott Walker, gouverneur du Wisconsin, en se faisant passer pour David Koch, l'un des deux frères milliardaires Koch (l'autre se nomme Charles). On était en pleine mobilisation de fonctionnaires dans cet Etat du nord des Etats-Unis. Le faux Koch se réjouissait de la détermination de M. Walker à "casser" leurs syndicats ("magnifique, magnifique...") et lui proposait d'envoyer dans les cortèges des provocateurs qui, par leurs actes, déconsidéreraient les manifestants et leurs organisations. Le gouverneur eut l'heureuse idée de refuser. Non que le principe lui répugnât mais imaginez que l'opération dérape, il risquait d'en pâtir, rétorqua-t-il. Le canular fit rire certains, sa méthode suscita chez beaucoup un malaise, mais personne ne considéra son contenu extravagant. Au contraire, venant de M. Koch, l'idée de recourir à des provocations est apparue à chacun comme parfaitement plausible.
David et son aîné Charles sont considérés comme les principaux financiers - souvent occultes - du Tea Party, cette mouvance hétéroclite "anti" qui réunit les éléments ultraconservateurs républicains (anti-Washington, anti-Etat-providence, anti-régulation...) et une grande part de l'extrême droite américaine (anti-immigrés, anti-musulmans, anti-avortement...). Multimilliardaires installés à Wichita (Kansas), les Koch détiennent 84 % de Koch Industries, 70 000 salariés, second conglomérat privé non coté du pays derrière Cargill. Chiffre d'affaires : 100 milliards de dollars, répartis entre raffinage pétrolier, gaz, minéraux, papier, chimie et produits financiers. A deux, ils constituent la cinquième fortune américaine.
Les frères, qui ont lancé moult groupes de réflexion et financé des lobbies très actifs à Washington, ont longtemps privilégié deux desseins : empêcher l'adoption de lois régulant les secteurs énergétique et financier (ils honnissent Al Gore) et promouvoir un agenda économique "libertarien". Adhérant à cette mouvance ancrée dans une tradition américaine, ils ont pour maîtres à penser Friedrich Hayek (1899-1992), Ludwig von Mises (1881-1973) et Robert LeFevre (1911-1986, le fondateur de l'"autarcisme"), tous adversaires déterminés de toute intervention publique dans le champ économique et du New Deal, vecteur d'une "menace tyrannique contre la liberté" (LeFevre). Avec une firme classée parmi les plus grands pollueurs industriels américains, les Koch, malgré des amendes lourdes, ont poursuivi un incessant combat contre le "mythe dangereux" du réchauffement climatique et l'"étranglement" imposé aux industriels par l'Agence américaine de l'environnement (EPA), qu'ils veulent démanteler.
De leur père, fondateur de l'entreprise, les deux frères semblent avoir hérité une hostilité à toute forme d'égalité. Fred Koch fut un membre actif de la John Birch Society, mouvement antisocialiste, anti-ONU, anti-déségrégation raciale actif dans les années 1950-1960. Avec l'avènement de Barack Obama, ils ont jugé que l'Amérique était menacée de "perdre sa liberté". Ils sont, écrivit le New Yorker, entrés "en guerre" contre le président, amplifiant massivement les moyens mis à disposition de leurs relais. Selon le Los Angeles Times, "les frères Koch sont désormais au coeur du pouvoir républicain". Ils ont financé nombre des campagnes du Tea Party à travers leurs émanations (Centre Mercatus, Citoyens pour une économie saine...). En 2010, ils ont dépensé 40 millions de dollars en soutien électoral, six fois plus que lors des précédents scrutins. Les six nouveaux élus républicains de la commission de l'énergie et du commerce de la Chambre ont tous signé le texte de leur association Americans for Prosperity s'opposant à toute régulation des émissions de gaz à effet de serre.
Ils sont aussi le premier contributeur de l'Association des gouverneurs républicains. Lorsque ce parti organisa une réception, le 5 janvier, en l'honneur de ses 85 nouveaux élus au Congrès, les frères Koch en étaient des invités d'honneur. Au même instant, Tim Phillips, président d'Americans for Prosperity, entrait dans le bureau du nouveau speaker ("président") de la Chambre, John Boehner, pour une conversation privée. Ce dernier craint que le Tea Party ne compromette la possibilité de voir un républicain battre M. Obama en 2012. Mais il doit aussi s'appuyer sur cette force montante, ce qui rend les frères Koch et leur puissance financière incontournables. Des frères qui, chaque année, organisent un événement privé prestigieux. Au dernier, en juin 2010 à Aspen, Glenn Beck, la star de la chaîne Fox News, Stephen Moore, du comité éditorial du Wall Street Journal, Charles Krauthammer, l'idéologue néoconservateur du Weekly Standard et bien d'autres, tous soupçonnés de bénéficier par divers biais de la manne des frères Koch, y étaient invités.
De là à y voir une "conspiration médiatique", comme titre la revue progressiste Mother Jones, beaucoup franchissent le pas. Mais la principale accusation contre les frères est de dire qu'ils confondent combat idéologique et intérêts privés. Charles Lewis, fondateur du Center for Public Integrity, un observatoire indépendant "bipartite", s'inquiète : les Koch, écrit-il, "contournent les lois, manipulent la politique. (...) Ils sont la Standard Oil de notre temps". Devenue surpuissante, dictant sa loi aux politiques, cette société pétrolière fut démantelée en 1911 en 34 entreprises.

cypel@lemonde.fr
Sylvain Cypel 
 Lemonde
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire