Photo : © Julien Lagarde. Barcelone, mai 2011 |
Par (13 octobre 2011)
New York, Tel Aviv, Lisbonne, Athènes, Boston, Zurich, Dakar, Montréal… La révolte des Indignés s’étend dans le monde. Des dizaines de milliers de personnes manifesteront le 15 octobre, pour rappeler qu’elles ne sont pas des marchandises entre les mains des banquiers, et pour défendre leurs droits face aux plans d’austérité. Qui sont ces Indignés ? Que veulent-ils ? Où en est le mouvement ? Petit tour du monde des mobilisations.
« Nous sommes les 99 %. » Le mouvement « Occupy Wall Street » donne le ton. Depuis le 17 septembre, des centaines de personnes occupent Zuccoti Park, rebaptisé « Freedom Plaza » – place de la Liberté – à New York. Entre les bannières et les sacs de couchage, beaucoup sont endettés ou sans emploi, dans un pays où le taux de chômage réel atteint les 16,5 %. Tous dressent le même constat : 1 % de la population détient 40 % des richesses. Face à la cupidité et à la corruption dont ils ne veulent plus, ils sont bien décidés à camper, « jusqu’à ce que le changement arrive ».
Sur cette toute petite place, à mi-chemin entre le Capitole et la Maison-Blanche, la police est partout. Et même si les hauts-parleurs sont interdits, leur message s’est répandu comme une traînée de poudre à travers les États-Unis. Malgré les interpellations – comme à Boston le 11 octobre – des mouvements miroirs [1] continuent d’émerger à travers le pays. « Occupons Wall Street » a même trouvé sa version québécoise avec « Occupons Montréal » : des milliers de personnes prévoient de faire du tapage le 15 octobre, devant la Bourse de Montréal au square Victoria.
En Espagne, les indignés expérimentent d’autres pratiques démocratiques
Les Indignés américains s’inspirent du mouvement « 15-M », lancé en mai dernier en Espagne. Forgé dans les réseaux sociaux, dépourvu de signes politiques et syndicaux, « le mouvement du 15 mai » est l’œuvre de « citoyens anonymes » considérant que les gouvernements ne les représentent plus. Leur slogan – « nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiques et des banquiers » – résume les axes d’un discours fondé sur la critique de la classe politique et de sa soumission aux pouvoirs économiques et financiers. Dès le 15 mai, des occupations de places et des campements démarrent. Pour « reprendre la rue ». Et pour ancrer dans l’espace cette « irruption populaire », non sans faire référence aux révolutions arabes et à la place Tahrir.
Lors de ces occupations, d’autres pratiques démocratiques ont été expérimentées, comme les assemblées générales quotidiennes, les décisions par consensus, par opposition au vote majoritaire, et le « droit à la parole » de chaque manifestant. Mouvement horizontal, « 15-M » épouse une conception de la démocratie radicalement différente des pratiques de délégation et d’élection.
Les Indignés portugais en révolte contre le plan d’austérité
Après avoir manifesté en masse en mai et juin, les Indignados ont organisé une marche de Madrid à Bruxelles. Rejoints par des Allemands, des Italiens, des Anglais, ils ont présenté leurs revendications le 8 octobre au Parlement européen, et leurs analyses sur le rejet des politiques d’austérité et du Pacte pour l’euro. Bien loin de leurs propositions, ce sont pourtant les conservateurs qui pourraient remporter les élections législatives anticipées en novembre, en Espagne. Rejoints par les enseignants et les professionnels de santé, les Indignés espagnols continuent de descendre dans la rue, et sont à l’initiative d’un appel pour un rassemblement international le 15 octobre.
© Martius. Madrid, mai 2011.
Au Portugal, ce sont les policiers et les gendarmes qui ont battu le pavé aux côté des Indignés le 28 septembre, exigeant de meilleurs salaires. Le 1er octobre, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de Lisbonne et de Porto contre le nouveau plan d’austérité annoncé par le gouvernement de droite de Pedro Passos Coelho, sous la pression du Fonds monétaire international (FMI). Après avoir obtenu en mai dernier une aide financière de 78 milliards d’euros sur trois ans, le gouvernement a annoncé une baisse des prestations sociales, la privatisation des services de l’eau et de la poste, le gel des salaires et des embauches de fonctionnaires.
Suivre l’exemple islandais
Les jeunes et moins jeunes participants du « mouvement du 12 mars », du nom de leur première manifestation, ont également appelé à un nouveau rassemblement le 15 octobre, assurant dans un communiqué : « Nous ne nous rendrons pas ! ». Désireux de suivre l’exemple de l’Islande, où les habitants ont refusé en 2010 de payer pour la crise bancaire, ils espèrent bien renouveler le succès de la manifestation du mois de mars, pour laquelle près de 500 000 personnes étaient descendues dans la rue. Là-aussi, les exigences démocratiques et le rejet de l’emprise des logiques de la finance sont fortement présentes.
En Grèce, les rassemblements sur la place Syntagma se poursuivent contre les conditions de prêt imposées par l’Union européenne et le FMI. Le 26 septembre, une cinquantaine d’étudiants pénètrent dans les locaux d’une chaîne de télévision publique. « Nous brisons le mur du silence » affiche leur banderole. Leur combat ? « Trouver un travail, non pas pour 500 euros comme la troïka [Commission européenne, FMI et Banque centrale] et notre gouvernement veulent nous l’imposer, mais avec des règles dignes. »
Finalement, leur message ne sera pas diffusé à l’antenne. Eux ne cesseront pas de dénoncer « ces grands médias contrôlés par des intérêts capitalistes ». Le gouvernement, lui, continue de couper dans les retraites, les salaires et les emplois des fonctionnaires. En réponse, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté le 5 octobre à Athènes et Salonique, deuxième ville du pays, contre ce plan de sauvetage. Le mot d’ordre de l’été – « Yes we camp » – ne faiblit pas.
Des villes de tentes en Israël
Cet été, la surprise est aussi venue d’Israël. Ce qui avait commencé par l’installation d’une tente sur l’avenue Rothschild, une des plus cossues de Tel-Aviv, s’est transformé en un vaste mouvement. Des « villes-tentes » ont poussé, partout dans le pays, pour protester contre les coûts croissants du logement et exiger la justice sociale. Dans les manifestations, ce sont surtout de jeunes Israéliens diplômés, issus des classes moyennes, qui passent plusieurs années dans l’armée et qui découvrent que l’ascenseur social ne fonctionne plus pour eux.
Le 3 septembre, à l’appel des organisateurs de la « Marche du million », au moins 450 000 manifestants se sont rassemblés dans les principales villes d’Israël. Non-violent, non partisan, le mouvement se voulait le plus consensuel possible, en n’évoquant pas la question des Territoires palestiniens. Il n’a pourtant pas été au goût de Benjamin Nétanyahou. Le 3 octobre, la police israélienne est venue déloger les Indignés israéliens qui campaient dans Tel-Aviv, emportant tentes et matériel.
© Kelly Davis, octobre 2011
Si la filiation est moins évidente, d’autres mouvements ont vu le jour ces derniers mois. Au Chili, les manifestations d’étudiants et de lycéens, rejointes par le mouvement écologiste, ont débouché sur une grève générale le 24 août, pour exiger une nouvelle Constitution. Au Sénégal, la crainte d’une dérive monarchique du régime a abouti à la création du « mouvement du 23 juin », date d’un rassemblement spontané de milliers de personnes. Sans parler du « printemps arabe », dont les Indignés affirment s’inspirer.
La « génération perdue » se mobilise en Italie, en Suisse, en France
La « génération perdue » subit également la crise en Italie, avec 29 % de chômage et 47 % d’emplois précaires chez les jeunes. Le 8 octobre, des milliers d’étudiants et de lycéens ont manifesté contre la détérioration du système éducatif. En trois ans, le gouvernement de Silvio Berlusconi a diminué de 8 milliards d’euros le budget de l’éducation. Près de 95 % des bourses d’études ont été revues à la baisse. De quoi alimenter la colère de la jeunesse italienne, qui prévoit de se joindre à l’appel des Indignés le 15 octobre.
Le mouvement a également gagné la Suisse. Un millier de manifestants sont attendus le 15 octobre sur la Paradeplatz de Zurich, place emblématique de la finance suisse, où se trouvent les sièges d’UBS et du Crédit suisse. En Suisse, les perspectives pour trouver un premier emploi sont aussi limitées, les logements difficilement accessibles et le surendettement de plus en plus marqué.
Une réponse citoyenne mondiale à une crise globale
En France, le mouvement peine à démarrer. À chaque rassemblement, les forces de police se déploient en nombre, intervenant parfois de manière musclée. Des rassemblement sont néanmoins prévus partout en France le 15 octobre. Plusieurs syndicats, partis politiques et associations assurent qu’ils seront aux côtés des Indignés ce jour-là.
© Slimjazz. Madrid, mai 2011
Étudiants, retraités, chômeurs, jeunes diplômés, salariés ou fonctionnaires... les manifestations du 15 octobre devraient réunir tous ceux qui se sentent touchés par la crise économique et les mesures d’austérité. Une journée de mobilisation citoyenne face à une crise globale. Le mouvement des Indignés, parti d’Espagne, ricochant en Grèce, au Portugal ou en Italie, a fait son chemin jusqu’aux États-Unis, l’endroit même où la crise a commencé. Reste que les revendications et propositions concrètes peinent encore à se faire entendre. Mais qu’ils se nomment Indignés ou pas, qu’ils revendiquent ou non ces filiations, ces mouvements horizontaux, sans leaders proclamés, ne se fixent aucune limite : la bataille contre le capitalisme financier, contre l’austérité ou pour la démocratie « réelle » risque de prendre du temps.
Sophie Chapelle
Voir la carte des mobilisations du 15 octobre. |
Bastamag
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