A 47 ans, il veut « aller le plus loin possible » de la centrale nucléaire de Tepco, près de laquelle il a vécu dix ans. Rencontre.
Une riveraine de Rue89, Yasha, photographe japonaise installée à Paris, débarque à la rédaction pour nous présenter un « irradié » de passage à Paris et désireux de raconter la « vérité » sur Fukuhima. Au début, on se méfie forcément.« Il a trois bras ? »Voici les réactions autour de moi quand j'annonce que je vais rencontrer un « rescapé » de cette catastrophe loin d'être terminée.
« Il va te contaminer ? »
« Quand il y a eu l'explosion d'hydrogène, j'ai commencé à douter »
Simon ne parle pas français, un peu l'anglais, mais il sait utiliser le langage des images : comédien professionnel, il a tourné quelques vidéos, notamment cette rencontre qui avait dégénéré le 19 juillet entre les autorités et les citoyens.Simon habite depuis dix ans à Fukushima City, située à 60 km de la centrale, bien au-delà du rayon d'exclusion – de 20 à 30 km. Il se souvient des suites du séisme du 11 mars
« Le gouvernement a parlé de dégâts sur la centrale, mais pas de problèmes de radioactivité. Quand il y a eu l'explosion d'hydrogène le 14 mars, je me suis dit que c'était loin, mais je commençais à douter des autorités qui ne cessaient de dire que tout était sous contrôle. »
La prise de conscience de Simon, avec d'autres citoyens japonais, met plusieurs semaines à se formaliser. Début mai, il rejoint l'association Kodomo Fukushima, dont le but est de protéger les enfants des radiations. Seulement une centaine de membres seraient actifs, estime Simon – « C'est peu. »
« Des citoyens qui se sont formés à la radioactivité »
A 47 ans, Simon veut tourner la page Fukushima. Il laisse derrière lui son appartement, son travail, ses amis, et restera en France les trois mois que lui autorise son visa touriste. Puis, peut-être l'Angleterre, ou l'île d'Okinawa, « un peu les Antilles du Japon, le plus loin possible de Fukushima. »
Son idée ? Faire analyser la dose de radioactivité qu'il a reçue. Il a entendu parler du « Whole Body Counter » (ou anthroporadiamétrie), une machine qui détecte les radionucléides contenus dans l'organisme. La seule machine disponible près de chez lui est inaccessible : elle est près de Tokyo, « mais cela coûte près de 1000 euros » pour y avoir accès. Il raconte cette anecdote :
« A Fukushima City, seulement cinq personnes ont pu l'utiliser : ils tournaient une émission télé, et c'est la chaîne qui a payé.Officiellement, les résultats sont normaux, mais une contre-expertise est en cours par des citoyens qui se sont formés à la radioactivité. »
Avec son Geiger acheté sur Internet, il fait ses propres mesures
Les analyses d'urine, bien moins chères, ont été réservées aux enfants. Pendant la semaine qui a suivi l'accident, Simon est sorti en combinaison de ski, masque et lunettes, « de la science fiction », se souvient-il. Puis, il n'a eu qu'à croire les propos toujours rassurants du gouvernement :
« La limite d'exposition a été élevée de 1 à 20 millisieverts (mSv) par an [20 mSv/an est la dose prévue pour les travailleurs du nucléaire en France, ndlr], sinon il aurait fallu évacuer. On se bat pour la faire redescendre.J'ai acheté un compteur Geiger sur Internet, je fais des mesures moi-même et je le prête. Souvent, je détecte une radiation largement supérieure à 20 mSv. »
« C'est une panique silencieuse. Les gens ne veulent pas savoir »
Un jour d'avril, vêtu comme un travailleur du nucléaire, il a entrepris un road trip avec un ami. Sans compteur Geiger, avec la peur au ventre. Il s'est approché jusqu'à 7 km de la centrale, sans sortir de la voiture. Les territoires, magnifiques, sont aussi déserts qu'inquiétants. Sur les images qu'il nous a montrées (et qu'il garde pour un documentaire), on voit des animaux errants, chiens, vaches, cochons, des feux rouges arrêtés et quelques policiers aux check points. Comme le décrypte Simon, la radioactivité est un « piège » :
« Elle ne se voit pas, c'est comme s'il ne s'était rien passé, le tsunami a touché les côtes, mais à l'intérieur, c'est une panique silencieuse. Les gens ne veulent pas savoir.
Moi-même, je ne ressens rien dans mon corps, mais j'aurais peut-être un cancer dans dix ans. »
Avant de partir, il essayait de faire attention à la nourriture :
« Au supermarché, il y avait beaucoup moins de choix qu'avant, les produits frais venaient d'autres préfectures. Mais je sais que la récolte de riz, en ce moment, mélange le riz venu de partout. C'est scandaleux mais c'est vrai. »
Comme beaucoup de Japonais, il a trouvé indécente la campagne du ministère de l'Agriculture, des forêts et de la pêche qui clamait :
« Mangeons la nourriture des zones sinistrées afin de les soutenir et d'aider à la reconstruction. »
Une campagne à l'image de toute la propagande véhiculée par le lobby nucléaire.
Evacuer ? « Sans doute ce qu'il faudrait faire »
« Les gens veulent de l'information et de l'argent », résume-t-il. Pour l'instant, seules les personnes habitant à 10 km de la centrale ont été indemnisées par Tepco, opérateur de Fukushima Daiichi, pour la perte définitive de leurs biens, explique Simon.
Alain Rannou, expert à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) concède que :
« S'il n'y avait pas de difficulté à évacuer beaucoup de monde, c'est sans doute ce qu'il faudrait faire. »
Pour lui, la limite de 20 mSv fixée par le gouvernement « augmente le risque de cancer de 0,1% », ce qui « n'est pas considérable ». L'expert reconnaît toutefois qu'« il n'est pas normal que les gens n'aient pas d'information sur leur exposition à la radioactivité, qu'ils puissent décider de partir en toute connaissance de cause ».
Photo : Simon, à la rédaction de Rue89 (Audrey Cerdan/Rue89).
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