mercredi 5 octobre 2011

Au secours, la terre disparaît !

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Partout, les terres s’épuisent. Et risquent de ne plus pouvoir nourrir l’humanité. En cause : l’érosion des sols, liée aux productions intensives, le déclin de la biodiversité ou des vers de terre, accéléré par l’usage massif de la chimie, ou encore la progression inexorable du béton des villes et des routes qui stérilise à jamais notre bonne vieille glèbe. Aux États-Unis, de nombreuses études lancent l’alarme : la disparition des terres arables pourrait être irréversible. En France, on cherche encore à évaluer le phénomène, sans trop se presser.


Enquête:


« C’est un problème plus grave encore que le réchauffement climatique », prévient Daniel Nahon, professeur de géosciences à l’université Paul-Cézanne d’Aix-en-Provence. La qualité des sols agricoles se dégrade. Au point, selon certains experts de mettre en cause la capacité à nourrir les humains. « Les sols s’érodent, se dégradent, perdent de leur fertilité, poursuit le chercheur. On considère à tort qu’ils vont produire éternellement. Mais, un jour prochain, on n’observera pas seulement une chute de la productivité, mais une non-production. »
Aux États-Unis, de nombreuses études analysent le problème. Dix millions d’hectares de terres arables sont détruits et abandonnés chaque année dans le monde à cause de pratiques agricoles non soutenables, décrit David Pimentel, professeur à l’université Cornell aux États-Unis et spécialiste des sols. 0,5 % des terres cultivables disparaissent tous les ans, l’équivalent d’un cinquième du territoire français. « À cause de l’érosion, près d’un tiers des terres arables sont devenues improductives, et la plupart ont été abandonnées d’un point de vue agricole, ces quarante dernières années », explique David Pimentel dans un article qui compile plus d’une centaine d’études et de rapports sur le sujet.
La terre, une ressource non renouvelable
Or pour nourrir la population mondiale grandissante, il faudra doubler la production agricole dans les prochaines décennies. Une impossible équation. « Aujourd’hui, 0,27 hectare est disponible par personne (2700 m2). Dans quarante ans, à cause de la perte de terres et de l’augmentation de population, il restera seulement 0,14 hectare par personne », souligne une étude à laquelle a participé David Pimentel. Soit tout juste 1/6ème de terrain de foot.
Les sols se renouvellent grâce à l’altération de roches dures par la pluie, ce qui crée des minéraux meubles – l’argile – qui permettent aux végétaux de pousser. Un phénomène qui se produit sur des millénaires. A l’échelle humaine, la terre est donc une ressource non renouvelable. Entre 200 et 1000 ans sont nécessaires pour former 2,5 centimètres de sols. L’équivalent de ce que perdent les États-Unis en seize années : la profondeur moyenne des sols dans le pays (la couche de terre arable) était de 23 centimètres il y a deux siècles. Aujourd’hui elle se situe à 15 centimètres. Résultat : des terrains autrefois fertiles sont abandonnés.
Malgré d’importants défrichements en Amazonie ou en Indonésie (environ 12 à 13 millions d’hectares/an, ce qui pose aussi le problème de la déforestation), la superficie des terres arables n’a pas augmenté depuis les années 1970. Pire, les réserves sont limitées. Il ne reste que 600 millions d’hectares dans le monde pouvant être convertis en terres cultivables, sans remettre en cause l’équilibre entre terres arables et forêts, prévient Daniel Nahon.
Où sont passés les vers de terre ?
En France, rares sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme. Parmi eux, Lydia et Claude Bourguignon, fondateurs du Laboratoire d’analyse microbiologique des sols (Lams), spécialisé dans les techniques de préservation des sols agricoles. Selon ces agronomes, l’agriculture intensive a détruit près de 90 % de l’activité biologique dans certains sols cultivés en Europe. « Les chambres d’agriculture reconnaissent qu’il y a un problème. Elles parlent de “fatigue des sols”, pour pudiquement dire “mort des sols” », observe Claude Bourguignon. « L’état des sols en France, en Europe et dans le monde est assez désastreux. Nous avons connu une chute extrêmement importante. En 1950, il y avait 4 % de matière organique dans les sols. Nous sommes descendus à 1,4 %. On ne peut plus descendre en-dessous de ce niveau », prévient Lydia Bourguignon.
Comment en est-on arrivé là ? Les labours trop profonds entraînent une baisse de la qualité et de la quantité de la matière organique en surface, perturbent la faune et exposent les sols à l’érosion. L’emploi excessif d’engrais chimiques et du désherbage exterminent faune et bactéries. Et les cultures intensives, lorsque toute la plante est utilisée, y compris la tige et les feuilles, privent les sols de la matière organique qui les alimente. L’absence de haies ou de cultures « de couverture », qui protégeaient les sols, favorise l’érosion. Leur lessivage entraîne la mort chimique.
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L’érosion provoque une insuffisance en nutriments de base (nitrogène, phosphore, potassium, calcium), essentiels pour la production agricole. Davantage présents en surface, ils partent avec les eaux de ruissellement. C’est en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, que l’érosion frappe le plus fort : une perte de 30 à 40 tonnes de terreau par hectare par an. Environ 17 tonnes par an en Europe et aux États-Unis. Sur tous les continents, cette érosion s’étend bien au-delà de la capacité de renouvellement des sols : environ une tonne de terre par an et par hectare.
Autre conséquence : le « déclin biologique » des sols. Un hectare de terre fertile contient en moyenne 1,7 tonne de bactéries, 2,7 tonnes de champignons, selon les études états-uniennes. Et une tonne de vers de terre, qui par leurs mouvements brassent une masse considérable de glèbe. « Une vie foisonnante travaille les sols : sur chaque hectare, dans les 20 premiers centimètres de profondeur, vous trouvez l’équivalent, en poids, de 500 moutons ! », décrit Daniel Nahon. Un chiffre divisé par cinq dès lors que la terre est cultivée. Et bien plus lorsque les pratiques agricoles ne respectent pas les sols. « Il y a quelques années, on avait déjà atteint le niveau de 100 kg/ha de vers de terre. Un résultat effrayant », s’inquiète Lydia Bourguignon. 10 fois moins que la normale.
Coût de l’érosion : 400 milliards de dollars par an
À cela s’ajoute l’irrigation, qui sale les sols, la contamination par des métaux lourds, ainsi que le tassement par l’utilisation de machines de plus en plus lourdes, qui peuvent endommager tout l’écosystème. Sans oublier la transformation de terres agricoles en zones urbaines ou commerciales, en autoroutes. « Auparavant, on estimait cette perte à l’équivalent d’un département français tous les dix ans en France. Aujourd’hui, c’est de l’ordre d’un département tous les sept ans », décrit Dominique Arrouays, chercheur à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), et responsable d’Infosol, un système unique d’information sur les sols de France et leurs évolutions.
Outre les terres devenues improductives ou bétonnées, la productivité baisse sur les terres abîmées. Les études américaines sont très précises : les rendements de céréales ont chuté de 12 à 21 % dans l’État du Kentucky, de 25 à 65 % dans certaines zones de l’État de Géorgie, jusqu’à 24 % dans l’Illinois et l’Indiana. En quinze ans, l’érosion des sols a provoqué une baisse de rendements céréaliers de 80 % dans plusieurs régions des Philippines.
En France, pas de statistiques solides
Une tendance temporairement compensée par un usage important de produits fertilisants ou par l’irrigation. Mais qui n’est pas tenable à long terme, et coûte cher. « Le coût total de l’érosion liée à l’agriculture aux États-Unis est d’environ 44 milliards de dollars par an », évaluent les chercheurs états-uniens. Soit 100 dollars par hectare agricole. A l’échelle de la planète, l’érosion provoque une perte à 400 milliards de dollars par an, selon David Pimentel. D’après les différentes études collectées par le chercheur, la dégradation des sols sera responsable d’une baisse de productivité agricole de 30 %, d’ici vingt-cinq à cinquante ans.
A l’Inra, on relativise. « Il n’y a pas de données qui montrent que la situation empire, considère Frédéric Darboux, chercheur en science du sol dans une des unités spécialisées, à Orléans. L’érosion, ce n’est pas nouveau : déjà avant la Révolution française, dans les Cahiers de doléances, les paysans s’exprimaient sur ce problème. » L’Inra estime manquer de statistiques solides et de recul. Mais pour Dominique Arrouays, également chercheur à l’Inra, « il y a effectivement des raisons de s’inquiéter, car le phénomène est relativement irréversible. » Même si, « pour des raisons techniques, nous ne savons pas bien quantifier les baisses de biodiversité liées aux usages agricoles ». 20 % du territoire serait concerné par une érosion trop importante. Le grand Sud-Ouest, la vallée du Rhône ou le pourtour méditerranéen sont les premiers touchés, de même que les vallées limoneuses de Picardie et du Nord. Bref, difficile de savoir, en France, le niveau de gravité de la situation.
Peut-on « réparer » les sols ?
Une vingtaine d’unités de l’Inra travaillent pourtant sur l’étude de notre humus. Le Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) [1] pourra livrer des éléments un peu plus précis à partir de 2018, une fois terminée sa deuxième campagne de prélèvements. Trop tard, estime Claude Bourguignon, qui ne mâche pas ses mots : « À l’Inra, ils ont attendu que les sols meurent avant de lancer des programmes de mesures, pour faire des courbes intéressantes. Ils sont parfaitement conscients de ce qui se passe. »
Autre outil : la Base de données analyse des terres (BDAT), qui vise à regrouper toutes les analyses réalisées à la demande d’agriculteurs, sur les teneurs en éléments fertilisants ou l’acidité. « Il faudra une dizaine d’années de plus pour vérifier les tendances », explique Dominique Arrouays. Le temps semble pourtant compté. Et la France est bien en retard. En Grande-Bretagne, des relevés systématiques des sols sont réalisés depuis 1978.
Mais rassurons-nous : « Si les mesures sont difficiles, les techniques qui permettent de réduire l’érosion sont assez connues à l’Inra », souligne Frédéric Darboux. À défaut de pouvoir évaluer avec précision le problème, au moins peut-on y apporter des solutions ! Le plus urgent : une révolution culturelle, estime Daniel Nahon. « En France, les agriculteurs écoutent ce que leur disent les ingénieurs, ils ne veulent pas changer de méthode. » Résultat : « Sur 30 % des terres aux États-Unis, on ne pratique plus le labour, facteur important de la dégradation des sols, alors qu’en France cela ne concerne qu’une infime proportion des terres. » Aux États-Unis, les chercheurs préconisent aussi les rotations de cultures, la mise en place de brise-vents, de haies, de bandes herbées…« Dans l’État du Tamil Nadu, en Inde, des vers de terre ont été introduits dans des terres détruites. Après trois ans, la production de thé sur ces terres a augmenté de 35 à 240 % », décrit Daniel Nahon.
Sortir du néolithique sans passer par les OGM
« Des agriculteurs nous demandent ce qu’on peut faire pour leurs terres. Mais quand il n’y plus de faune, de matière organique, on ne peut pas régénérer d’un coup de baguette magique, estime Claude Bourguignon. Depuis vingt ans, on est pris pour des hurluberlus. Si on avait agi plus tôt, on ne se serait pas mis en danger. » Les solutions techniques ne pourront jamais égaler la complexité des sols. « Avec les engrais, on ajoute de l’azote, du phosphore, du potassium, mais la plante puise une trentaine de micro-éléments dans la terre, qui sont absents des fertilisants. Et cela coûte très cher de copier les éléments naturels », poursuit Lydia Bourguignon. La solution ? « L’agriculture n’aurait jamais dû être autre que bio. Avec la Révolution verte, on est retourné au néolithique et à son système de monoculture sur brûlis. On a fait un bond en arrière de 6000 ans en cinquante ans, s’emporte Claude Bourguignon. Il faut aller plus loin avec les connaissances modernes et les techniques anciennes. »
« Si on veut plus de terres arables, il faut gagner sur les terres arides, c’est-à-dire les terres gelées, les terres trop salées… Et donc inventer des plantes qui peuvent vivre sur ces terres », estime de son côté Daniel Nahon. Il défend la « génétique fonctionnelle » pour « stimuler les plantes ». Des innovations technologiques qui pourraient aggraver la situation et augmenter les inégalités, au lieu de régler le problème à la source, en réinterrogeant les modes de production agricole. Une fuite en avant, comme souvent, à défaut de prendre soin de la terre.
Agnès Rousseaux

Bastamag

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