vendredi 14 octobre 2011

CLIMAT : "ON NE PEUT PAS NEGOCIER AVEC LA NATURE"

Climat : "On ne peut pas négocier avec la nature"

Président de la République des Maldives, chapelet de quelque 1 200 îles à fleur d'eau, dans l'océan Indien - l'un des pays les plus vulnérables au réchauffement -, Mohamed Nasheed est un fervent avocat de la lutte contre le changement climatique. De bref passage à Paris, il a accordé, mercredi 12 octobre, un entretien exclusif au Monde.
Quels impacts du changement climatique ressentez-vous dans l'archipel ?
Le changement climatique est une réalité que nous éprouvons fortement. Nous avons 16 îles dont nous avons dû déménager les populations en raison de l'érosion des côtes (due à la montée du niveau marin). Nos nappes d'eau douce ont été contaminées sur 70 îles en raison de l'intrusion de l'eau de mer sur les terres émergées.

Pour obtenir de l'eau douce, nous devons dessaler l'eau de mer, ce qui est très coûteux. Avec le réchauffement des eaux de surface, les poissons demeurent plus en profondeur et deviennent inaccessibles au type de pêche que nous pratiquons - c'est-à-dire une pêche sans filet qui n'altère pas le reste de l'écosystème.
Nous avons donc des problèmes d'accès à l'eau, de sécurité alimentaire, de migrations internes, nous avons tous les problèmes sérieux auxquels les autres pourront être plus tard confrontés. Nous devons consacrer 40 % de nos investissements au financement de politiques d'adaptation. Pour cela, nous devons lever de nouveaux impôts, ce qui ne contente personne.
Pour comprendre la réalité du réchauffement, il faut avoir de l'eau dans son salon. A Manhattan, on réalisera tout cela un peu plus tard parce qu'ils sont derrière des digues. Mais un jour, à New York, ils verront de l'eau dans leur salon et ils se diront : "Tiens, le changement climatique est une réalité !" Chez nous, aux Maldives, l'eau est déjà dans la maison.
Voilà plus d'un an, vous annonciez vouloir être le premier pays neutre en carbone avant la fin de la décennie. Où en êtes-vous ?
Nous avons fait un audit de nos émissions de carbone, nous avons monté un plan d'investissement et nous travaillons sur des projets concrets de mise en oeuvre de ce plan "zéro carbone". Le travail a donc concrètement commencé.
Quelle est l'utilité d'un tel plan ?
Nous ne voulons pas le mettre en oeuvre pour ôter du carbone de l'atmosphère : nous n'émettons presque rien ; d'ailleurs, nous n'avons presque toujours rien émis. Notre objectif est de suivre des stratégies de développement peu carbonées que d'autres pays pourraient suivre aussi. Nous voulons convaincre que la neutralité carbone n'est pas un problème de technologies, mais que c'est une question économique. Pour nous, les énergies renouvelables sont viables et nous pensons pouvoir nous développer grâce à elles. Nous espérons que les autres pays constateront que "développement" n'est pas égal à "émissions de carbone".
Concrètement, qu'est-ce qui est en route d'un point de vue technique et réglementaire ?
Maintenant, les particuliers peuvent produire leur électricité à partir de panneaux solaires photovoltaïques, l'apporter au réseau électrique et obtenir une rétribution pour cela. Celle-ci permet d'amortir les investissements initiaux. Nous avons aujourd'hui 1 mégawatt (MW) d'énergie solaire injecté dans le réseau électrique de l'île principale de l'archipel, dont les besoins sont d'environ 40 MW. Des gens viennent me voir pour me dire d'attendre : la technologie sera plus performante et moins chère le mois prochain, l'année prochaine... la décennie prochaine.
Mais mon point de vue est qu'il faut y aller, avec la technologie disponible. Avec nos groupes électrogènes au diesel, nous produisons de l'électricité pour un coût de 38 cents de dollar le kWh. Avec les énergies renouvelables, nous pouvons en produire autant pour 30 cents. Il faut avancer. Nous privilégions l'énergie photovoltaïque parce que nous avons beaucoup de soleil. Le développement de l'éolien est moins évident : nous avons identifié deux sites particuliers mais ils ne fournissent pas de vent toute l'année.
Il n'y a pas une solution miracle : c'est un ensemble hybride de solutions différentes que nous devons apprendre à synchroniser.
Comment analysez-vous l'état des négociations climatiques en cours ?
Le processus actuel de négociation est imbécile, inutile et sans fin. Il est fondé sur ce principe : deux parties sont d'accord, une troisième arrive et dit qu'elle n'est pas d'accord et elle réduit l'ambition des autres. En définitive, même si nous aboutissons à un accord, ce sera un accord pour rien. Il sera si dilué qu'il n'aura aucune utilité.
Nous savons que la science est fermement établie. Je pense que nous avons une petite fenêtre d'opportunités pour infléchir le cours des choses. Mais nous ne pouvons pas conclure un accord avec la nature. Nous ne pouvons pas discuter avec les lois de la physique, ne soyons pas fous ! Ce n'est pas l'Organisation mondiale du commerce, ce n'est pas un traité de désarmement ! On ne peut pas négocier avec la nature.
Comme je le vois, le système économique conventionnel ne peut pas résoudre cette question. Pas plus que notre vision conventionnelle de la diplomatie et de la négociation. J'ai demandé au président Nicolas Sarkozy de porter ce message (au G20) pour une réforme des organisations internationales : il faut faire sortir de terre un nouveau système économique.
Les pays occidentaux ont-ils, selon vous, toujours une plus grande part de responsabilité dans la situation actuelle ?
Les pays en développement disent que les pays développés ont une responsabilité historique pour avoir émis autant de dioxyde de carbone. D'accord. Mais ce que je dis, c'est que si les pays émergents avaient eu l'occasion d'émettre autant de carbone, ils l'auraient fait - peut-être en pire.
Ce que je dis aujourd'hui, c'est que si l'Occident s'endormait pour ne pas se réveiller et que la Chine, l'Afrique du Sud et le Brésil appliquaient la politique du business as usual, nous mourrions quand même. Les Maldives disparaîtraient. Pour nous, ces histoires de responsabilités historiques sont sans objet. Aujourd'hui, les responsabilités sont également partagées.

Auteur : Jacques Follorou et Stéphane Foucart

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